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déclaré l’ardent champion. Il alla jusqu’à offrir de construire à ses frais un chemin de fer depuis le Mississipi jusqu’à Puget-Sound (la Californie n’ayant aucune importance à cette époque), à la seule condition que le gouvernement lui allouât pour toute subvention 30 milles de terrain sur toute la longueur de la ligne. Cette exigence pourra paraître excessive; pourtant l’expérience a démontré que les prétentions de Whitney n’étaient que modestes. Depuis, l’état s’est vu forcé de consentir des concessions bien plus fortes pour assurer la construction définitive de cette grande voie. A l’époque dont nous parlons, c’est-à-dire entre 1845 et 1850, le projet n’était pas encore assez mûr pour rallier à ses mérites l’opinion générale. On s’effrayait, non sans quelque raison, de l’immensité de l’œuvre à accomplir.

Les possessions américaines ne s’avançaient alors, de l’est à l’ouest, que sur une zone mesurant un millier de milles au plus. Sur les côtes du Pacifique, un seul territoire, habité par de rares colons, dépendait des États-Unis. Entre ces limites extrêmes s’étendait un désert de 2,300 milles (plus de 3,700 kilomètres) embrassant d’immenses régions stériles et sillonné par deux chaînes de montagnes dont les cimes couvertes de neiges éternelles, les épouvantables abîmes, les torrens furieux, les plateaux arides, les vallées inaccessibles, formaient aux yeux du public, égaré plutôt que guidé par les récits de voyages, un tableau fantastique rempli de dangers et d’épouvante. On répétait de tous côtés qu’il était impossible de construire un chemin de fer au milieu de ces contrées inhospitalières, et qu’au lieu de se lancer dans de folles entreprises il valait mieux s’occuper d’affaires plus pressantes et d’un intérêt plus direct. Heureusement pour l’histoire du progrès, il se rencontre des hommes qui ne reculent pas devant l’impossible, et l’Amérique, on peut le dire à sa gloire, est peut-être la terre la plus féconde en héros de ce genre.

En 1850, le vieux Thomas Benton présenta au congrès le premier bill relatif à l’établissement d’une voie ferrée se dirigeant vers le Pacifique. N’osant toutefois aborder de front le plan, jugé irréalisable, d’une ligne directe et non interrompue, il tourna la difficulté en proposant de construire la sienne dans les endroits praticables seulement et de relier entre eux ces différens tronçons, dans les passages trop difficiles, au moyen de chaussées ordinaires. Ce bill, protégé contre l’oubli par l’autorité du nom de Benton et soutenu plus fortement encore par les événemens qui transformèrent si vite la Californie, finit par donner des résultats sérieux : en mars 1853, le congrès vota une somme de 150,000 dollars (750,000 fr.) pour l’étude de la meilleure route à travers le continent du nord.