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double désavantage pour le consommateur. Le prestige qui couvre le nom anglais dans ces parages avait empêché ces rumeurs de prendre de la consistance. La grande crise dont la guerre de sécession américaine donna le signal se chargea de montrer combien étaient fondées les plaintes des indigènes. Plusieurs magasins considérables de Bombay et de Calcutta ayant suspendu leurs paiemens, on s’aperçut, en en faisant la liquidation, que l’arriéré provenait de ce qu’un grand nombre de leurs cotonnades n’avaient pu se vendre ou s’étaient vendues à vil prix. Ces cotonnades étaient pourries. A la suite de cette découverte, on opéra des perquisitions dans d’autres magasins et dans les entrepôts de la douane. On y trouva des montagnes de marchandises laissées peur compte. Le centre de ces ballots se réduisait, lorsqu’on les ouvrait, en une poussière verdâtre et corrompue. On fit une enquête, les langues des victimes se délièrent, chacun exposa son cas, et il devint clair que ces rigides marchands, ces austères intermédiaires entre l’offre et la demande, qui n’avaient pas de mots assez sévères contre le peu d’honnêteté des Hindous, s’étaient abaissés jusqu’à tromper ceux-ci indignement; manœuvre misérable qui rainait pour longtemps la confiance des indigènes, et compromettait le résultat de plusieurs siècles de loyauté et de courageux efforts.

La falsification employée ici, et qui, à ce qu’il parait, était devenue une chose acceptée et normale en Angleterre pour les expéditions d’outre-mer, consistait à jeter sur le tissu à peine fabriqué de la craie humide. On comprend facilement qu’une telle manipulation augmente beaucoup le poids de l’étoffe; elle permet par conséquent d’y mettre beaucoup moins de coton, tout en conservant à la toile une certaine apparence. Par contre, elle produit une fermentation assez puissante pour détruire le fil et rendre le tissu impropre à aucune espèce d’usage. C’était Là une fraude brutale, et dont les effets devaient sauter aux yeux dès que l’objet manufacturé entrerait dans la consommation. Elle n’en était pas moins pratiquée en grand depuis plusieurs années. Un fabricant avouait qu’il avait d’abord employé la craie humide à pelletées, et que ses correspondans établis dans l’Inde, enchantés du résultat obtenu, lui avaient écrit de l’employer à tombereaux (wheelbarrowfull).

Après avoir insisté sur les détails de ces agissemens, — dont industriels, marchands, commissionnaires, étaient les complices, le Times en fait ressortir les conséquences funestes. Les correspondances qu’on lui adresse nous apprennent que la méfiance où ces pratiques ont jeté les Hindous a suscité sur place une concurrence déjà ruineuse pour les grands établissemens d’Angleterre. «Dans les bazars indiens, dit le Times, les manufactures de coton indigène