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d’être relevé ; avant M. de Voltaire, personne ne s’est avisé de rien débiter de pareil : » telles sont ses perpétuelles formules. Pour un certain nombre de ses observations qui peuvent être fondées, beaucoup portent sur de puériles vétilles, ou bien il se scandalise de voir violer par Voltaire le premier devoir d’un écrivain... Et quel est ce devoir suprême? C’est de respecter les têtes couronnées! Comment Voltaire a-t-il montré son mépris? Il a osé croire que Charles XII ne fut plus si bon luthérien dans la seconde moitié de son règne qu’il l’avait été dans la première. « Heureusement chacun sait, reprend le chapelain en colère, ce dont l’imagination de cet écrivain est capable! » Ou bien Voltaire s’est permis d’écrire ces lignes : « Le jour même que le roi arriva à Stralsund, il envoya partout ses ordres pour recommencer une guerre plus vive que jamais contre tous ses ennemis. » Nordberg ne veut pas qu’on dise au lecteur la folie impitoyable de ce Charles XII qui abandonnait quinze ans sa capitale, qui épuisait son malheureux pays par des levées incessantes; il rappelle le respect dû aux têtes couronnées, et c’est, dit-il, décrier Charles XII que de lui prêter d’autres projets que ceux d’une attitude défensive. Voltaire tint compte, disions-nous, des remarques utiles; mais il réfuta souvent Nordberg dans ses notes, et, pour finir, il lui adressa ces lignes : « Un historien a bien des devoirs. Permettez-moi de vous en rappeler ici deux qui sont de quelque considération, celui de ne point calomnier et celui de ne point ennuyer. Je puis vous pardonner le premier, parce que votre ouvrage sera peu lu; mais je ne puis vous pardonner le second, parce que j’ai été obligé de vous lire. Je suis d’ailleurs, autant que je peux, votre très humble et très obéissant serviteur. » La postérité a contresigné ce billet, et le chapelain figure aujourd’hui dans ce lugubre martyrologe composé de ceux qu’on a appelés les ennemis de Voltaire, avec Fréron, Desfontaines, La Beaumelle et Nonnotte.

Si l’histoire de la publication du Charles XII et celle des polémiques auxquelles il a donné lieu sont choses fort connues, on n’en saurait dire autant pour l’histoire de la composition même d’un livre si discuté. On ne sait pas assez ce que Voltaire y a apporté de zèle et de soin. Les preuves s’en trouvent, irrécusables et inédites, au département des manuscrits de la Bibliothèque impériale, à Paris. Les curieux qui voudront prendre sur le fait et suivre le travail de l’historien pourront consulter dans ce dépôt un volume in-folio contenant les papiers dont Voltaire s’est servi[1]. Il y a là une grande

  1. Titre au dos : Recueil. Suède, Pologne et Turquie. — FR. 9722. — C’est l’ancien carton 1309,6 B de la Bibliothèque royale.