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sance. La guerre de trente ans avait porté la gloire de cette nation à travers toute l’Europe; l’essor des sciences et des lettres et même le reflet des arts s’étaient ajoutés aux succès militaires. La paix de Stolbova en 1617, celle d’Oliva en 1660, avaient ajouté à la Finlande, depuis longtemps suédoise, la Carélie et l’Ingrie, prises aux Russes, l’Esthonie et la Livonie, enlevées aux Polonais; les traités de Brömsebro en 1645 et de Röskilde en 1658 avaient privé le Danemark des belles provinces qu’il possédait jusque-là dans la péninsule suédoise; la paix de Westphalie enfin avait fait de la Suède une puissance continentale en lui donnant, avec trois voix dans la diète germanique, la Poméranie supérieure, arrachée aux électeurs de Brandebourg, Rugen, Stettin, Brème et Werden. La jalousie et le ressentiment des puissances ainsi dépouillées n’osèrent pas se montrer jusqu’à l’avènement de Charles XII ; mais alors Frédéric IV de Danemark, Auguste II de Pologne et le tsar Pierre de Russie, encouragés par la jeunesse et le caractère apparent du jeune roi, conclurent entre eux une ligue secrète et attaquèrent tous trois en même temps, le premier en cherchant à surprendre le duc de Holstein, allié de la Suède, le second en assiégeant Riga en Livonie, et Pierre en assiégeant Narva. A peine le duc de Holstein eut-il invoqué le secours de Charles, que celui-ci se résolut à la guerre; il prit cette résolution tout seul, sans consulter personne que son favori le comte Piper. A partir de ce moment, ce fut un autre homme; il ne vécut que pour son armée. Le soir du 13 avril 1700, ses principaux ordres militaires étant donnés, il prit congé de la reine son aïeule et de ses sœurs pour une absence de quelques jours, disait-il; mais pendant la nuit il quitta secrètement sa capitale, où il ne devait jamais revenir, et se dirigea vers le midi de la Suède afin d’engager immédiatement la campagne. Tel est le récit des historiens du nord : il est plus conforme au caractère de Charles XII, ennemi de toute scène d’apparat, que celui de Voltaire, suivant qui « une foule innombrable de peuple l’accompagna jusqu’au port de Carlscrona en faisant des vœux pour lui, en versant des larmes et en l’admirant. »

La narration des premières campagnes n’offre dans Voltaire aucune sérieuse inexactitude. Devant Copenhague, il est vrai, c’est seulement à l’exemple du major de sa garde et de ses grenadiers de l’aile gauche que Charles XII, de l’aile droite, saute lui-même à l’eau, l’épée à la main, pour arriver plus vite à l’ennemi, posté sur le rivage. Ce n’est pas le lendemain de ce débarquement que put arriver un renfort de Suède, car ce jour-là le temps sur mer fut horrible, et la petite armée suédoise resta en grand danger sur la côte danoise jusqu’au surlendemain. La paix de Traventhal ayant été signée le 8 août 1700, et le roi de Suède ayant mis à la voile de