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d’un groupe de maisons particulières. En novembre, le premier vaisseau marchand venu de l’étranger entrait dans le nouveau port, Pierre lui-même servant de pilote. La nouvelle de cet établissement fut diversement accueillie à Stockholm. Les uns remarquèrent qu’une des îles sur lesquelles était assise la future capitale s’appelait Har-ön, l’île aux lièvres, et un poète de cour proposa qu’on appelât cette ville non pas Petropolis, mais Leporopolis, la ville des animaux lâches et peureux. Charles XII lui-même accueillit cette nouvelle en disant : «Laissons le tsar s’amuser à bâtir des villes; gardons pour nous l’honneur de les lui enlever. » Pourtant il y eut des esprits prévoyans qui dès lors s’alarmèrent pour l’avenir. La campagne de 1704, qui vit une flotte suédoise-défaite dans ces mêmes eaux par la marine naissante des Russes, ne justifia que trop leurs prévisions et leurs craintes.

Ainsi la même période des sept premières années de campagne a montré en même temps l’éclat incomparable de Charles XII, ses talens et ses vertus militaires, son ascendant et son crédit d’un moment en Europe, et les excès déplorables de son génie, causes immédiates de la faute qui pèse sur sa mémoire. De cette période principale, Voltaire a-t-il trop abrégé le récit ou bien ignoré certains traits? Loin de là : il y a telle scène pour laquelle il a été instruit de première main. C’est, par exemple, la duchesse de Marlborough qui lui a raconté les détails de l’entrevue entre le célèbre général anglais et le roi de Suède, et ces détails sont entièrement conformes à ce que nous donnent les dépêches du duc lui-même, qu’on peut lire dans sa correspondance publiée par sir George Murray à Londres en 1845. C’est grâce à des informations si directes que Voltaire a fait de cette curieuse scène une courte, mais vive peinture que les écrivains modernes ont ensuite copiée.

Les épisodes qui suivent dans la carrière de Charles XII ne sont que les funestes conséquences de son obstination à détrôner Auguste II et à rester en Pologne. Le premier de ces épisodes est la fatale expédition que devait terminer la sanglante défaite de Pultava. Après avoir frayé sa route vers le centre de la Russie par le même chemin au nord que suivit plus tard notre grande armée, il opéra sa sinistre retraite par le midi; la marche, commencée pendant le terrible hiver de 1708-1709, s’acheva pendant le mois de juillet, sous une chaude latitude, de sorte qu’il parut avoir conjuré contre lui tous les fléaux d’un climat diversement extrême. On sait comment lui manqua le secours qu’il attendait de son lieutenant Lewenhaupt, battu par les Russes pendant qu’il s’efforçait de le joindre, et comment lui manqua aussi son allié Mazeppa, l’hetman des Cosaques, également surpris par les armées du