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de pouvoirs, non pas d’un droit de vote, mais d’une surveillance et d’une direction au sujet des impôts extraordinaires et des subsides. Qu’importait du reste toute théorie administrative en face d’un entier absolutisme qu’une seule personne exerçait? Charles avait quitté son royaume à l’âge de dix-huit ans, quand il ne connaissait encore ni les hommes ni les choses; étaient-ce quatorze années de campagnes en Pologne et en Russie qui, à cet égard, devaient l’instruire? Piper lui-même, malgré une ferme intelligence et une singulière énergie, pouvait-il bien juger, du camp, tant de contestations diverses? Dans les premières années, il fallait plusieurs semaines, et bientôt, Charles s’éloignant, il fallut des mois pour qu’une affaire expédiée par le sénat vînt au roi et s’en retournât en Suède. Que de dommages pendant de si longs délais! Les dossiers s’accumulaient dans la tente du roi ou du comte sans qu’on y touchât. En 1706, on ne trouve que sept dépêches de Charles XII au sénat, cinq en 1707. Les lettres royales et ordonnances concernant le commerce, l’industrie, l’administration civile, atteignaient sous Charles XI et dans les premières années de Charles XII le chiffre de cinquante environ par an ; mais en 1702 on n’en trouve plus que cinq, trois en 1705, une en 1708, pas une en 1709, au moins jusqu’à Pultava. Notez que Charles XII, très jaloux de son autorité, ne permettait, en dehors de la sienne, aucune initiative, et que, par exemple, si quelque point de la péninsule suédoise était menacé par l’ennemi, c’était à peine si de Stockholm on osait envoyer des troupes, de peur de contrecarrer quelqu’une de ses mesures militaires et d’être ensuite sévèrement blâmé par lui. Le ministre de France, Campredon, écrit en mai 1704 et en avril 1705 : « Je n’ai rien à mander ; mes pourvoyeurs de nouvelles n’ont rien à m’apprendre, par la bonne raison que les sénateurs eux-mêmes ne savent rien. » L’administration intérieure continua cependant à peu près sa marche régulière durant les premières années, grâce à la ferme impulsion que lui avait donnée le règne précédent, et grâce aux victoires des armées suédoises, qui permettaient à Charles XII de se nourrir et de se recruter en pays ennemi; mais bientôt l’absence prolongée du roi, puis les revers, changèrent entièrement la face des choses. Le sénat, au milieu d’embarras multiples, après avoir obéi à l’ascendant de quelques-uns de ses membres, se divisa soit à propos des questions intérieures, soit en se laissant grigner à l’influence des puissances étrangères; il y eut dans son sein un parti français avec l’énergique sénateur Fabian Wrede, et un parti anglo-hollandais avec le vieux comte Oxenstiern, ministre des deux précédens règnes. C’étaient les premiers germes de futures et fatales dissensions.