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« — Je vous l’accorde.

« — Vous êtes dur, monsieur de Hattstein. D’après vous, ceux qui succombent dans la lutte ne sont jamais de grandes natures. Le bonheur et le malheur jouent cependant un rôle considérable dans notre existence. Nous sommes tous les jouets du destin, nous sommes tous ballottés de haut en bas, de bas en haut, par un mystérieux concours de rapports et d’événemens fortuits, comme ces billes légères que l’on place sur le jet d’eau d’un bassin et qui voltigent, qui sautillent, s’élevant ou s’abaissant tout à coup selon la force du jet qui les porte. A l’énergie de la volonté, à la netteté du jugement, il faut aussi que le bonheur vienne se joindre, sans quoi la plus grande nature ne saurait échapper au naufrage.

« Emile de Hattstein secoua la tête. — Le bonheur, dit-il, est le vent qui enfle les voiles des hommes vulgaires. Ceux que j’ai appelés des natures n’ont pas besoin de bonheur. »


Voilà une doctrine fière, et on aimerait à la voir justifiée par le disciple de M. de Hattstein. Malheureusement, cette dernière partie du récit est de tout point la plus faible. Tant que l’auteur annonce et prépare son sujet, presque toujours animé, le récit est piquant, et s’engage bien; quand il arrive enfin à ce qui doit être l’intérêt principal, on dirait que son imagination est épuisée. C’est à peine une esquisse que ce tableau des années d’apprentissage du jeune Hugo. Fils d’un homme qui était mort civilement pour ainsi dire, et qui a fini par se tuer, fils d’une mère dont la destinée a été aussi douloureuse et tragique, ignorant même quel nom il doit porter, il lui semble qu’il est dans le monde comme un être sans racines, comme une feuille emportée par l’orage. De là, malgré les soins du jeune gentilhomme qui s’est dévoué à son sort, une insurmontable tristesse. La tâche de l’auteur était de montrer comment Hugo triomphe de ce morne désespoir et reprend goût à la vie. Nous avons le programme, l’œuvre nous fait défaut. Les voyages du jeune homme en France, en Italie, auraient dû fournir à l’auteur des peintures plus originales et plus fortes. C’est l’amour, on le devine sans peine, un amour traversé de périls et où le dévoûment a sa place, qui va ranimer dans le cœur de l’orphelin les énergies éteintes. Pourquoi M. Levin Schücking n’a-t-il pas réservé à une étude si digne d’intérêt quelque chose de la grâce et de la vigueur dont il a fait preuve dans la longue introduction de son récit?

Parmi ces tableaux de voyage, il y a une ébauche de la Rome de nos jours qui renferme un curieux chapitre intitulé Pio nono. Hugo de Schönstetten, amoureux d’une jeune femme que des circonstances fatales ont enchaînée à des liens odieux, est accusé d’avoir tué le mari de celle qu’il aime, afin de la délivrer et de lui donner son nom. C’est