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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/418

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L’athéisme français est la sécheresse même, l’athéisme allemand est capable d’enthousiasme. L’athéisme français est la négation des lois supérieures qui gênent nos passions ou contrarient notre orgueil; l’athéisme allemand est un appel à d’autres lois, et peut se concilier chez les âmes d’élite avec une moralité austère. En un mot, l’athéisme allemand, c’est le panthéisme. Lord Vere de Vere est en adoration devant la divine majesté du grand tout, et de même qu’il supprime la personne de Dieu au sein de l’univers infini, il lui est doux d’anéantir son être au sein du genre humain. L’esprit aristocratique, non-seulement l’orgueil de race et l’insolence des privilégiés du hasard, mais l’attache même à un nom illustre, à une famille honorée, lui semblent de graves manquemens à la vraie loi religieuse. Il en a horreur comme d’un crime. Le devoir pour lui, c’est de s’effacer, de disparaître, de renier son nom, de rentrer dans la grande famille des enfans d’Adam. Ayant rempli ce devoir en ce qui le concerne, il veut l’imposer d’avance à son fils. George, élevé par des paysans, ne connaîtra son origine que plus tard, lorsque les impressions de sa jeunesse l’auront mis en garde contre les séductions de l’aristocratie. Alors il verra quelle conduite il doit tenir; s’il imite la résolution de son père, ce sera librement et dans la pleine clarté de sa conscience. Il est fort curieux, ce testament, avec ses exaltations panthéistiques. Or, dans sa passion pour Clara Vere, George Allen avait si souvent maudit la caste patricienne, il avait été si souvent blessé par l’entourage de la fière lady, que ces paroles de la tombe ont immédiatement un écho au fond de son cœur. Il renonce à Clara Vere, et, tendant la main à la fille du forestier, à la douce et timide Hélène, qui l’aimait depuis l’enfance, il va confiner sa vie en Amérique, dans une libre communauté religieuse fondée par le vieux gentilhomme panthéiste. C’est un ami, un confident de lord Vere qui l’y introduira.


« Cette communauté est celle de tous les hommes qui adorent Dieu en esprit et en vérité. C’est la grande communauté qui compte des adhérens sur toute la surface du globe, dans toutes les contrées, dans toutes les zones, dans les palais comme dans les cabanes, et à qui appartient l’avenir. Leur dieu n’habite pas des temples construits par des mains humaines; ils sont eux-mêmes le temple, et le culte est leur propre pensée. Ils ne célèbrent pas de fêtes particulières, car ils sanctifient tous les jours. Ils n’ont pas de clergé, car chacun d’eux est prêtre. Ils ne croient pas à l’enfer, car le paradis commence pour eux ici-bas. Ils ne craignent pas la mort, ils la nient; enfin ils n’invoquent pas le nom de Dieu, parce que Dieu n’a pas de nom et que nulle parole ne peut exprimer son immensité. Un jour viendra où tous les hommes se