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de heurté, rien qui sente l’exaltation et la fièvre. Les amours de Paul S..., le jeune savant de Barlin, et de la naïve Hedda, la fille du pilote côtier, ont quelque chose de la grâce de Bernardin de Saint-Pierre. Je ne serais pas étonné pourtant que M. Spielhagen considérât ce récit charmant comme une simple fantaisie d’artiste ; ses ouvrages de prédilection, nous le voyons trop, ce sont les grands romans où il a fait une peinture si amère de la société allemande de son temps. Le premier, qui est de l’année 1860, porte ce titre singulier : Natures problématiques.

« Il y a d’s natures problématiques qui ne sont à la hauteur d’aucune situation et que cependant aucune situation ne satisfait. De là les conflits monstrueux qui désolent et dévorent la vie. » C’est Goethe qui a formulé cette sentence, inscrite par M. Spielhagen à la première page de son roman. Il s’agit donc d’étudier ici les âmes faibles et avides, impuissantes et altières, que produisent en si grand nombre nos sociétés fiévreuses; il s’agit de peindre une des maladies du XIXe siècle. Le sujet est vaste et se présente sous des points de vue très divers. Qu’en fera M. Spielhagen? Le personnage qu’il nous donne comme le type de ces natures problématiques est un jeune savant, le docteur Oswald Stein, appelé au château de Grenwitz pour y faire l’éducation du fils de la maison. Son maître, une des gloires de l’université voisine, le professeur Eberhard Berger, l’a recommandé au baron et à la baronne de Grenwitz; il arrive et se met à l’œuvre. Voilà le jeune docteur en pleine société aristocratique avec les idées aventureuses qu’il a puisées aux grandes écoles. Le baron est un homme doux qui tremble devant sa femme; la baronne est le caractère le plus hautain, l’esprit le plus infatué de prétentions féodales. Autour d’eux s’agite un monde de hobereaux, car on mène une vie brillante à Grenwitz, et les visites, les concerts, les bals, y réunissent toute la noblesse des environs. Or le jeune précepteur, au lieu d’être dépaysé dans ce monde si nouveau pour lui, y marque immédiatement sa place avec une merveilleuse aisance. Il est plus brave, plus chevaleresque, plus gentilhomme, ce plébéien, que tous les gentilshommes de la contrée. Étes-vous bien sûr de ne pas être un des nôtres? lui demande un jour une des reines de Grenwitz. On n’a jamais vu en effet nature plus séduisante. Il ensorcelé le château ; les femmes raffolent de lui, les hommes le provoquent en duel ; il tient tête à tous et n’a qu’à se présenter pour vaincre. Séduits ou irrités, ses rivaux subissent bon gré mal gré la fascination qu’il exerce. Qu’est-ce donc qui lui manque, à ce victorieux? Avec des dons si rares, comment va-t-il se perdre? A quel homme enfin avons-nous à faire? C’est ce que nous dira le baron d’Oldenbourg, un gentilhomme qui aurait de