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cident qui date du mois de janvier et peut montrer à quel point d’animosité en vinrent les deux catégories de la population blanche. Le bruit courait que les indépendans s’étaient donné rendez-vous au théâtre pour se compter et provoquer la formation d’un fonds commun. En effet, pendant La représentation, un passage de la pièce ayant donné lieu à un élan patriotique, les volontaires envahissent la scène armés de leurs carabines et font feu au hasard sur la salle; mais parmi les spectateurs plusieurs étaient munis de revolvers, ils ripostent. Une effroyable fusillade s’engage au travers d’un auditoire où sont des femmes et des enfans ; il y eut de chaque côté des morts et des blessés.

Pendant ce temps, l’insurrection se développait à l’intérieur. Les chefs du mouvement étaient presque tous des jeunes gens appartenant aux meilleures familles, fortement trempés par cette vie de fatigues et d’aventures qu’on mène dans les cultures éloignées des villes. Accoutumés aux privations, rompus aux intempéries, munis, de ces petits chevaux rapides pour lesquels il n’y a pas de routes impraticables, ils franchissaient de grandes distances, apparaissaient sur les points où on les attendait le moins, et mettaient en désarroi les autorités espagnoles. Le matériel de guerre leur manquait complètement. Sauf quelques caisses de carabines et de munitions jetées sur la côte par la contrebande, l’arme qui se trouvait presque dans toutes les mains était le machete, espèce de long coutelas dont l’insulaire se sépare rarement. De petites bandes sillonnaient le pays pour l’échauffer en proclamant la guerre de l’indépendance. Elles étaient bien accueillies dans la plupart des habitations, elles y faisaient des recrues. De temps en temps, des propriétés où l’on prétendait rester fidèle à l’Espagne étaient saccagées. Quand ces bandes étaient rencontrées par des troupes envoyées à leur poursuite, il leur était bien difficile de soutenir le choc : elles se réfugiaient dans les montagnes boisées de l’intérieur. Les bulletins envoyés à La Havane annonçaient que les rebelles avaient été mis en pleine déroute ; le gouverneur-général mandait à Madrid que l’insurrection touchait à sa fin.

Si la métropole n’avait pas été entretenue dans une fausse sécurité, son inertie au début de la lutte serait à peine compréhensible. On laissa passer la première session des cortès sans prendre les affaires de Cuba en considération sérieuse. La proposition d’un député pour abolir l’esclavage dans les Antilles fut ajournée indéfiniment. On se contenta d’inscrire dans la constitution le droit qu’avaient les colonies d’être représentées aux cortès de la métropole, et on leur accorda dix-neuf députés. Devait être électeur tout « sujet espagnol » âgé de vingt-cinq ans et possédant un revenu d’au moins 25 piastres (130 francs environ). C’était une espèce de