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Enfin nous avons aussi tiré grand profit de notes qui nous ont été communiquées à ce sujet par un des hommes qui connaissent le mieux l’Europe orientale, M. Engelhardt, autrefois membre de la commission européenne du Bas-Danube, aujourd’hui consul-général de France à Belgrade.


I.

Pour comprendre comment se sont formées ces colonies de soldats laboureurs, dans quel sol a poussé et de quels germes est sorti « cet arbre hérissé de baïonnettes, » il est nécessaire de remonter assez loin dans l’histoire de la Croatie. À la fin du XIe siècle, le peuple croate, proche parent du peuple serbe, ayant vu s’éteindre sa dynastie nationale, se rattacha par le lien d’une union personnelle à la couronne de Hongrie ; le royaume triple et un, comme on dit encore à Agram, formé de la Slavonie, de la Croatie et de la Dalmatie, devint, suivant le terme consacré qui a bien souvent retenti dans les controverses de ces dernières années, une des annexes, ''partes adnexœ, du royaume de saint Etienne. Ce fut après la chute de la Serbie et la prise de Constantinople que les Turcs, devenus maîtres de la Bosnie, commencèrent à se répandre dans le bassin de la Save, et à pousser leurs expéditions jusqu’en Carinthie et en Carniole. Le danger était d’autant plus grand que les plus riches et les plus énergiques des chefs bosniaques avaient embrassé l’islamisme ; ces renégats étaient devenus les plus brillans auxiliaires de leurs anciens ennemis. L’aventureuse bravoure des Slaves de Bosnie, jointe à la connaissance qu’ils avaient de la langue et du pays, fit à leurs frères, les Slaves chrétiens, plus de mal encore que l’impétuosité et le fanatisme des Osmanlis. Pendant la fin du XVe siècle, Agram vit plus d’une fois, de la haute colline que couronnent sa cathédrale et son château, passer dans la plaine les bandes musulmanes. Si cette place résista toujours, les Croates n’en perdaient pas moins du terrain. La funeste bataille de Mohacz, en 1526, vint rendre la situation plus grave encore. Le roi Louis II avait péri ; le trône de saint Etienne était vacant, la dynastie était éteinte ; les Turcs occupaient la plus grande partie de la Hongrie. Après quelque hésitation, la Croatie se décida une fois encore à suivre la fortune de la Hongrie ; elle déféra en 1527