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plus éloignées de ses frontières. Je n’ai pas à revenir sur ce sujet, que j’ai déjà abordé dans la Revue[1]; mais avant de quitter Vien-Chan, le centre politique le plus important de l’ancien Laos indépendant, nous avons dû nous demander quelle peut être l’origine de ce peuple laotien, dont l’établissement dans la vallée du Mékong semble être relativement récent. De quel point de l’horizon sont venus ces envahisseurs, obligés parfois de lutter encore contre des tribus sauvages refoulées, mais non détruites? La ressemblance que j’ai signalée entre la langue laotienne et la langue siamoise, ressemblance qu’il est impossible d’attribuer à la conquête, permet d’inférer que ces deux races sont deux rameaux détachés d’un tronc unique; mais où cet arbre avait-il pris racine, quelle contrée faut-il assigner pour berceau à ces hommes qui, après avoir expulsé les premiers occupans des vallées du Ménam et du Mékong, finirent par s’égorger entre eux dans des luttes fratricides? L’ignorance des Laotiens, l’oubli presque complet de toutes leurs traditions, enfin les nécessités de notre voyage, dont le but était surtout géographique, rendaient impossible l’élucidation de ce problème, et c’est par de pures hypothèses qu’il nous est possible de répondre à ces questions. La plus vraisemblable, la seule qui puisse, à ma connaissance, s’étayer sur des indications vagues d’ailleurs recueillies de la bouche des indigènes, fait descendre leurs ancêtres du royaume de Xieng-Maï, aujourd’hui tributaire de Bangkok. Avant de s’établir sur ce point et d’y fonder un état, sont-ils sortis du Thibet en suivant la vallée de l’un des grands fleuves qui coulent entre le Brahmapoutre et le Yang-tse-Kiang? sont-ils venus du côté de l’occident, ou bien sont-ils le produit de deux races différentes qui se seraient primitivement rencontrées, alliées et confondues? Il ne serait pas prudent d’émettre une affirmation sur ce point. C’est de l’étude plus complète et de la comparaison des langues que jailliront un jour quelques étincelles au sein de cette nuit profonde. Personne parmi nous n’était en mesure de se livrer sur ce point à un travail sérieux ; mieux vaut donc se taire, au risque de passer pour incomplet, que de s’exposer à égarer les investigations des hommes spéciaux par un étalage d’érudition factice et de science improvisée. L’Indo-Chine est d’ailleurs le champ le plus fécond que puissent exploiter jamais les savans qui se sont donné pour tâche de retrouver les sources perdues de ce grand fleuve dont les flots sont des nations, et de dresser en quelque sorte la généalogie de l’humanité. Comme ces baies profondes creusées sur nos côtes où des courans opposés se heurtent en provoquant une agitation violente et continue, cette partie du monde semble avoir été le point de rencontre de peuplades d’origine diverse que

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1869.