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vivre en un mot comme de purs esprits, promesses plus faciles à faire qu’à tenir. Nos cases en bambous furent bientôt prêtes; au-dessus d’elles, un splendide banyan, l’arbre religieux par excellence, étendait ses grands bras.

Voici enfin une agglomération sérieuse de maisons et d’habitans qui mérite le nom de ville. Nous n’avons rien vu de semblable depuis Pnom-Penh. Sans aller, comme M. Pallegoix, jusqu’à donner 80,000 âmes à Luang-Praban, je serais porté à trouver le chiffre de 7,000 ou 8,000 que lui accorde M. Mouhot un peu inférieur à la vérité. Du sommet d’un monticule qui sert de piédestal à une pyramide élégante, on voit s’étendre au-dessous de soi une plaine couverte de toits de chaume ombragés par une forêt de cocotiers. De cet observatoire, où l’œil embrasse à la fois tout le panorama de la ville, on entend cette rumeur confuse qui s’élève de tous les centres de l’activité humaine, et qui ressemble, selon l’intensité du foyer qui le produit, soit au bruit sourd des flots mourant sur la grève, soit à la forte clameur des vagues poussées contre le roc par la tempête. Pour l’oreille du voyageur lassé des vastes solitudes, ce murmure confus dans lequel vienn_3nt se perdre toutes les paroles articulées est une délicieuse harmonie. La ville de Luang-Praban, traversée dans toute sa longueur par une grande artère parallèle au fleuve, s’étend sur les deux versans d’une colline baignée d’un côté par le Mékong, de l’autre par le Nam-Kan. Cette petite rivière se jette dans le grand fleuve par une brusque inflexion à l’extrémité nord-ouest de la ville. Le versant du Nam-Kan n’est pas moins peuplé que celui du Mékong. Une foule de ruelles nauséabondes aboutissent à la rue principale; beaucoup suivent une pente très raide ou forment escaliers; elles sont pavées de briques ou même de blocs de marbre brut que le pied des passans a polis par places. Le macadam ne semble pas absolument inconnu. Il est étrange que les Laotiens ne sachent pas tirer parti des inépuisables carrières de marbre qu’ils ont sous la main, et qu’ayant voulu, par exemple, orner le parvis d’une pagode, ils aient eu l’idée de le faire venir de Bangkok, où il avait été d’ailleurs apporté de Chine, s’il faut en croire le récit du mandarin qui se flattait, en nous contant ce détail, de provoquer notre admiration.

Luang-Praban forme donc une sorte de rectangle qui a sur trois côtés un cours d’eau pour limite. Le quatrième côté est fermé par un mur percé de cinq portes qui va du Nam-Kan au Mékong. Au point où cette muraille, à peine visible sous les broussailles qui l’envahissent, vient joindre le grand fleuve, sur la berge même, un petit sanctuaire au toit arrondi et blanchi attire les regards; il abrite la trace du pied du Bouddah empreinte sur un rocher. Nous avons vu à Angkor, sur le mont Bakheng et à diverses reprises au Laos des excavations figurant à peu près un pied et dans les-