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qu’a-t-on fait au demeurant? Du bruit? Non, pas même. Du froufrou, et rien de plus. L’épithète que ces messieurs donnent à leur héroïne aurait pu servir peut-être à caractériser leur réputation. Pourtant le public a bien pris la chose, et le succès les a amnistiés, succès très vif, de très bon aloi dans la salle, et que la critique du lendemain est venue confirmer. La critique théâtrale s’est montrée en effet singulièrement louangeuse à l’égard de Froufrou, et elle a embouché sans plus attendre la trompette de l’enthousiasme. Sans avoir l’intention de faire entendre dans ce concert une note trop discordante, je ne puis m’empêcher de trouver que tout cet enthousiasme sonne un peu faux, qu’il y a ici au moins abus de grosse caisse. Ceux qui prennent si chaudement fait et cause pour les auteurs de Froufrou ne sentent-ils pas au fond le besoin de plaider un peu pour eux-mêmes ? Les écrivains dont le métier est d’exercer sur la littérature dramatique la censure de l’art et du bon goût se sont en effet montrés, selon moi, d’une indulgence regrettable pour le genre nouveau dont on doit l’introduction à la collaboration de MM. Meilhac et Halévy. Ils ne se sont pas récriés, comme ils auraient dû le faire, dès la première de ces parodies burlesques et inconvenantes que leur raison théâtrale a débitées durant ces dernières années avec une fertilité si déplorable. Ils n’ont pas protesté au nom de l’esprit français en affirmant que la gaîté n’a rien de commun avec la farce, et que le rire peut naître d’autre chose que des cascades.

S’ils avaient consciencieusement rempli leur devoir de critiques, peut-être n’aurions-nous pas assisté à cette série de pièces dignes d’être jouées sur des tréteaux par des pitres de foire, dont la popularité et la contagion ont rabaissé jusqu’au ton de la bonne société, et qui vont aujourd’hui donner aux étrangers l’idée de tout ce que les honnêtes femmes de notre pays peuvent entendre sans rougir. La critique a été molle, elle a été faible. Elle avait ri, n’était-elle pas désarmée? Elle a donc laissé s’introduire sans protestation un genre détestable, et je crois qu’en proclamant aujourd’hui que MM. Meilhac et Halévy sont des auteurs d’un grand talent, des observateurs profonds qui se sont amusés jusqu’à présent aux bagatelles de la porte, elle a surtout à cœur de s’absoudre elle-même de ses complaisances passées. Les admirateurs de ces messieurs prétendraient, j’en suis sûr, pour un rien, qu’en peignant les infortunes conjugales de Ménélas ou en prêtant à rire aux dépens de l’amiral suisse, ils ont entendu se prononcer à leur manière pour le divorce contre l’indissolubilité du mariage, ou pour les grandes agglomérations contre les petites nationalités, MM. Meilhac et Halévy sont assurément gens d’esprit, et j’imagine qu’ils doivent bien rire de l’interprétation profonde qu’on veut donner à leurs bouffonneries. La vérité est, suivant moi, qu’ayant discerné chez le public les symptômes d’une certaine fatigue, et conçu peut-être la noble ambition de passer à la postérité, ils ont compris qu’il était grand temps de transformer leur manière et d’é-