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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/564

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calcul d’un litre de whiskey. par tête et par jour était basé sur des données californiennes qui ne pouvaient nous être appliquées. Je ne pus le convaincre. « Vous laisserez ces provisions en route, si vous voulez, dit-il ; mais j’aurai fait mon devoir en vous les donnant. Si vous les emportez jusqu’à Omaha, vous me remercierez plus tard. C’est un peu lourd à porter au commencement, mais vous verrez qu’après-demain le fardeau s’allégera déjà sensiblement. » Deux de mes compagnons, D… et M…, Américains comme l’ami californien, appuyèrent ses instances. D… prétendait avoir rencontré le matin même un homme compétent en matière de boissons, qui, en résumant ses observations d’un voyage de Promotory à Sacramento, avait parlé avec horreur du whiskey de Truckee, de Winnemuca, d’Elko et de Promotory. Il avait prétendu que les ouvriers mineurs seuls pouvaient en boire sans en mourir, et qu’à Promotory l’odeur seule de la boisson favorite des Américains causait à l’étranger non acclimaté les accidens les plus graves. Il fut décidé que trois d’entre nous prendraient alternativement charge des deux dames-jeannes de whiskey et de la boîte de biscuit, et je dus céder aux vœux de la majorité. J’hésitais cependant, je l’avoue, à entrer dans le salon des premières, flanqué de deux douzaines de litres de liqueurs fortes ; mais on me fit voir d’autres dames-jeannes d’une capacité plus respectable encore que les nôtres, et qui appartenaient à des gens d’apparence irréprochable. Je pris donc mon parti en me disant qu’il fallait vivre à Rome comme les Romains y vivent. Je dois, en fin de compte, rendre cette justice à l’ami V. S…, que ses précautions, pour être quelque peu exagérées, n’en étaient pas moins excellentes. Pendant plusieurs jours, on ne nous vendit dans les stations situées entre Sacramento et Omaha que de l’eau détestable et des boissons qui me firent penser au terrible whiskey de Promotory. Nos provisions de liquides étaient non-seulement une addition aussi utile qu’agréable aux collations spartiates dont il fallut nous contenter, mais elles contribuèrent aussi à nous assurer les bonnes grâces de compagnons de voyage auxquels nous étions en état d’en offrir largement. D’ailleurs à Elko déjà, où nous dîmes adieu aux mineurs de White-Pine, qui nous avaient accompagnés jusque-là, nous pûmes jeter une dame-jeanne vide par la fenêtre.

Nous quittâmes la jetée de San-Francisco à quatre heures de l’après-midi, et en moins de deux heures nous débarquâmes à Vallejo, éloigné de 29 milles. C’était marcher avec une vitesse que les bâtimens européens n’obtiennent que rarement. En Amérique, où l’on construit les bateaux à vapeur les plus rapides, les plus économiques et les moins sûrs, cela n’a rien d’extraordinaire. Entre Vallejo et Sacramento, je fis connaissance, en wagon même, avec une