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mormons. Il s’était élevé dans l’origine un grave malentendu entre les deux compagnies au sujet du point de raccordement. L’une poussait ses constructions vers le nord, l’autre vers le sud, et, chacune s’obstinant dans la marche qu’elle avait adoptée, il était impossible d’atteindre jamais le résultat désiré. Le litige fut porté devant le congrès, et tous les dissentimens s’aplanirent finalement à l’apparente satisfaction des parties intéressées. Des sommes considérables n’en ont pas moins été dépensées en pure perte, car la ligne qui aurait fait double emploi avec le tracé définitif est complètement abandonnée, et ne pourra probablement être d’aucune utilité.

Les environs de Promotory forment un contraste agréable avec les arides plaines qu’il faut traverser pour y arriver. Les mormons, quels que soient d’ailleurs les défauts de leur secte, passent sans contredit pour d’excellens agriculteurs, et la transformation qu’ils ont opérée d’un pays inculte en terre hospitalière et fertile est digne d’éloges. Le regard se repose avec plaisir sur un panorama varié et attrayant. Les eaux du Lac-Salé s’étendent sur une surface que l’œil ne peut embrasser, et la vue seule de cette immense nappe d’eau donne de la fraîcheur à l’esprit desséché en quelque sorte par les sables du désert que l’on vient de franchir. Des villages, des maisons de campagne, des fermes, des terrains cultivés, égaient le paysage. Tout cela est encore assez éloigné pour dissimuler ce qu’il y a sans doute de choquant et d’incomplet, mais contribue à former un tableau d’un ensemble charmant. A l’horizon, les sommets neigeux de Wasatch forment la limite orientale du grand bassin de l’Amérique du Nord.

Depuis Elko jusqu’à Promotory, la monotonie du pays traversé avait été à peu près le seul inconvénient dont nous avions eu à nous plaindre. Nous avions voyagé en société peu nombreuse et en général assez convenable. Chacun de nous avait eu deux ou quatre places à sa disposition, ce qui avait en quelque sorte compensé le mauvais état des wagons. A Promotory, on nous fit changer de voitures. L’Union exploitant la voie à partir de cette localité, le matériel de cette compagnie fut mis à notre disposition. Les nouveaux wagons étaient commodes et bien tenus, mais on nous fit payer cher ce supplément de bien-être. D’abord il nous fallut, comme à Sacramento, surveiller nous-mêmes le transbordement de nos bagages, et là aussi les employés, qui se croyaient quittes envers nous de toute sollicitude après nous avoir amenés sains et saufs, ne nous prêtèrent aucun secours. Poussé par un sentiment bien naturel d’inquiétude en présence du sans-façon des préposés au factage, je regardais de tous côtés pour rallier les élémens épars de notre propriété, lorsque j’avisai à côté de la voie un grand nombre de colis jetés là pêle-mêle. En y regardant de plus près, je reconnus dans ce