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Tu sais qu’étoile sans orbite,
L’homme erre au gré de tous les vents.


Il l’accuse d’avoir confondu les étoiles avec les planètes, et il ajoute que les planètes ni les étoiles ne sauraient flotter au gré du vent. Le reproche est sévère, et, même en ce cas, on pourrait défendre l’auteur, qui, précisément au milieu d’images souvent démesurées, garde une rare précision et décrit exactement les objets. Le même critique a relevé l’erreur de M. Leconte de Lisle confondant le calice et la corolle d’une fleur, et il remarque que, comme rien n’obligeait à employer en vers cette dénomination scientifique, il fallait au moins s’en servir à propos. Si parfois on comprend qu’un écrivain exprime un sentiment ou une impression par une image un peu vague et sans y mettre toute rigueur, les mots techniques doivent toujours garder leur vrai sens ; mais ces images elles-mêmes ne sauraient être bonnes, si elles ne sont justes, et les poètes sont assujettis à des règles qu’il ne faut pas oublier. Leurs œuvres sont faites pour plaire aux esprits précis autant qu’aux âmes romanesques. On peut tout exiger de ceux qui prétendent enchanter les hommes. Qu’on ne croie point que l’esprit d’examen détruise le goût littéraire, et que le progrès des sciences ait pour naturelle conséquence la décadence des lettres. Les vraies beautés résistent à l’analyse, et ce serait faire un médiocre éloge de la littérature d’imagination que d’en attribuer le goût seulement à ceux qui renonceraient à l’usage de leur jugement. Les écrivains les plus préoccupés de l’éclat du style ne peuvent s’inquiéter uniquement de ranger symétriquement des mots sans se soucier de la justesse des idées. Comme on vante chez quelques-uns la précision et l’exactitude, il faut bien que le contraire de ces qualités soit chez d’autres un défaut. Les commentateurs ont loué Homère d’avoir fidèlement décrit les contrées où ses armées combattent, et d’avoir distingué chacun des héros par un trait particulier et positif. Les fleurs de chaque pays sont désignées par lui telles qu’on les retrouve encore, et ses épithètes, souvent trop répétées, sont d’une extrême justesse. Virgile a les mêmes mérites, et l’élégance des descriptions ne nuit point dans les Géorgiques à l’exactitude des faits. L’art d’écrire touche à l’art de penser ; le don ou l’art d’employer partout le mot propre s’accorde avec la science de représenter par des termes exacts les idées les plus vraies.

Boileau, tout Boileau qu’il était, ne s’inquiétait pas autant de la propriété des termes que ses vers, un peu secs, le feraient croire. Il est assez plaisant de trouver ce législateur en faute, et ses exemples ne valent pas ses préceptes. On lit dans une épître :