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manquent que la pensée proprement dite. Ils sont plus souvent conduits par leur instinct que par leur intelligence, pourtant ils possèdent ces deux facultés. L’instinct passe pour avoir souvent raison contre l’intelligence ; pourtant nous faisons plus de cas de celle-ci, et nous n’avons pas tort. La Fontaine ne les distinguait pas ; mais, s’il n’était pas un philosophe très subtil, les vérités de sens commun ne lui échappent guère. Il croit donc que les animaux ne sont point de pures machines, et il l’a maintes fois prouvé par des exemples. L’intention est excellente, et les exemples sont charmans. Est-il permis d’ajouter que ceux-ci s’accordent rarement avec celle-là, et que le but devait être bien accessible, s’il l’a atteint et nous a convaincus ? La démonstration cependant ne saurait être bonne que si les exemples sont incontestables, si l’auteur a vraiment vu ou pu voir ce qu’il raconte. Des faits vrais qui supposeraient nécessairement chez l’animal un raisonnement, un acte intellectuel, pourraient seuls convaincre et réfuter un disciple de Descartes. Ce n’est pas ainsi que procède le poète. Cette même fable, qui commence d’une façon si philosophique, raconte l’histoire de deux rats qui trouvent un œuf et l’emportent de la façon que l’on sait. Est-ce possible ? Le poète l’a-t-il vu en effet lui-même ? Le témoignage du roi de Pologne, qu’il invoque quelques vers plus loin, est-il bien sincère ? Un roi est-il le meilleur des garans ? Il s’agit ici de rongeurs, et les rongeurs sont connus pour les moins intelligens des mammifères. La Fontaine lui-même ne conte pas ceci avec une conviction parfaite, et il n’a vraiment pas le droit d’ajouter :

Qu’on m’aille soutenir après un tel récit
Que les bêtes n’ont pas d’esprit.


Précisément on serait fort tenté de le soutenir, puisque l’auteur semble n’avoir pu trouver des faits certains pour prouver ce qu’il avance, et qu’il est contraint d’inventer. Il nuit à ses argumens par l’invraisemblance de ses histoires.

Une autre fable philosophique est plus heureuse, quoique encore incomplète. La Fontaine représente la perdrix faisant la blessée et traînant l’aile pour écarter le chasseur, éloigner le danger et sauver ses petits. Il voit là beaucoup de finesse et de sentiment. Bien des gens n’y verraient que de l’instinct. Un peu d’observation ou de science, loin d’affaiblir la preuve, la rendrait plus sérieuse. C’est au mâle et non à la femelle que revient en réalité l’honneur du stratagème. L’instinct paternel étant moins développé chez les animaux que l’instinct maternel, c’est bien véritablement du raisonnement, de la mémoire et de la tendresse que déploie le père. Les perdrix s’unissent pour une année ; pendant l’incubation, le mâle veille et