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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/701

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avait combattu l’établissement, lui demandant si cet argent sentait mauvais.

Le rôle de Titus fut supérieur : il s’appliqua uniquement à la politique, et par politique il faut entendre, à une telle époque, tous les actes propres à fonder le prestige d’une dynastie. Ce sens manquait à Vespasien ; dans sa bonhomie, il croyait suffisant que le pouvoir fût transmis comme un héritage ; il était assuré de cette transmission ; il riait des prétentions et des supercheries du jeune césar ; incorrigible jusqu’au bout, il en riait encore à son lit de mort. Il allait expirer, on lui demandait de ses nouvelles : « Eh ! eh ! répondit-il, je sens que je deviens un dieu, » raillant ainsi l’apothéose d’usage, à laquelle son fils ne le laisserait pas échapper.

Trois choses semblaient nécessaires à Titus pour incarner dans sa famille le bonheur ou du moins la perpétuelle soumission de l’univers : effacer le souvenir des souverains qui avaient précédé, s’entourer d’un éclat presque divin, se faire craindre. Or Vespasien avait manqué à ces trois devoirs : il avait marié et doté la fille de Vitellius ; il restait attaché à une simplicité bourgeoise ; il était d’une clémence qui encourageait aussi bien les conspirations que l’excès de familiarité.

Vitellius et les aventuriers auxquels il avait succédé n’avaient point laissé de traces qui pussent inquiéter ; mais il y avait un empereur, mort depuis trois ans à peine, qui était resté cher à la multitude ; Othon avait dû relever ses statues et prendre son nom, Vitellius offrir un sacrifice solennel à ses mânes et achever son palais pour devenir agréable à la plèbe romaine. Cet empereur était Néron, l’artiste couronné, qui avait captivé Rome par ses prodigalités, ses orgies, ses fantaisies gigantesques, et dont le règne avait été une fête perpétuelle, Titus était jaloux de Néron. Les dynasties nouvelles ressemblent aux parvenus, qui envient tout à leurs voisins et haïssent la noblesse en essayant de l’éclipser ; elles contractent des ressentimens inexplicables contre la dynastie qu’elles remplacent. Abolir la mémoire de Néron fut l’idée fixe de Titus, et, comme les monumens qui frappent les yeux semblent redire sans cesse le nom de celui qui les a bâtis, il s’attaqua aux monumens. La villa impériale fut bouleversée, les magnificences de la Maison dorée détruites, afin de rendre au public les terrains qui lui avaient été enlevés. Le prétexte était bon et la tactique habile. Néron avait en effet poussé ses empiétemens jusqu’à l’Esquilin et jusqu’au Cœlius. D’abord la Voie-Sacrée fut rectifiée ; pour la décorer, le colosse de bronze fondu par Zénodore à la ressemblance de Néron fut changé de place ; des rayons furent ajustés autour de la tête, des attributs précis et quelques retouches bien entendues firent une statué du