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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/71

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confondent avec ceux de la Croatie et de la Slavonie, et sur la rive gauche du Danube la frontière militaire ne diffère pas du reste de la plaine hongroise. Nous en dirons autant pour les usages, la religion, les langues des confins. Le fond des mœurs et des coutumes y est le même, on y professe les mêmes croyances, on y parle les mêmes idiomes que dans les provinces limitrophes; seulement la dissolution y est plus grande, les esprits y sont plus superstitieux, parce que l’ignorance y est plus générale. Les langues nationales, telles que le croate et le serbe à l’ouest, le valaque à l’est, ne s’y relèvent point, comme à Agram, Neusatz, Temesvar, par la culture littéraire, et y demeurent à l’état de dialecte populaire ; mais la plupart des hommes y entendent et y parlent même tant bien que mal, plutôt mal que bien, l’allemand, qui, d’un bout à l’autre de la frontière, est la langue de l’administration et du commandement. Ce que nous voudrions marquer ici, ce sont seulement les nuances qui séparent la population des confins de ses congénères, et qui tiennent, non pas aux conditions générales de la race et du milieu, mais aux conditions particulières que leur a faites un régime exceptionnel. C’est là le seul moyen d’apprécier le système à sa juste valeur, de juger l’arbre à ses fruits.

Ce qui frappe tout d’abord le voyageur quand il franchit la limite des confins, c’est que les routes y sont beaucoup meilleures que dans les provinces civiles contiguës. Ainsi, au mois de septembre 1869, je traversai la Slavonie, de Voukovar à Brod, pour aller faire une visite à l’évêque Strossmayer, le chef éloquent du parti national, dans sa résidence épiscopale de Diakovo. Tant que nous fûmes en territoire civil, malgré nos quatre vigoureux chevaux, nous avancions bien lentement. Là, comme en Turquie, il n’y a aucun empierrement; ce sont les voitures qui tracent le chemin à travers les friches, et quand les ornières sont trop profondes, on passe à côté. Dans les confins au contraire, la route ressemble à une de nos routes françaises; sur les côtés sont disposés, pour réparer les avaries, des tas de cailloux de la Save. On ne peut d’ailleurs conclure du bon entretien des chemins à l’aisance et à la prospérité du pays que là où le peuple est maître de son travail et de ses deniers. Ici, tout ce que l’on en peut induire, c’est que la corvée existe, et que l’autorité comprend l’utilité de bonnes routes stratégiques.

Quant aux villages, bâtis avec une régularité toute militaire, ils se ressemblent tous. Pas de rues venant déboucher sur la route, pas de hameaux épars dans les arbres et les vergers. Toutes les maisons, presque, pareilles et séparées par une égale distance, sont plantées sur le bord du grand chemin, comme autant de soldats en faction. A côté de la maison d’habitation, au milieu de la cour, se