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de séduction, ce que les vols lui procuraient de ressources ; il était abrité par la responsabilité d’un autre. Dès qu’il s’est trouvé seul responsable, il a flatté la multitude et s’est fait le serviteur de ses plaisirs. Une douceur égale pour tous, des libéralités sans distinction, un laisser-aller qui rassurait les méchans encore plus que les honnêtes gens, des distributions à tout propos, des dépenses insensées, l’abandon des affaires, la licence et l’exemple de l’inaction, des fêtes perpétuelles qui semblent avoir absorbé tout le règne, étaient pour un peuple aussi corrompu que les Romains un nouvel aliment de corruption. L’inépuisable condescendance de l’empereur ressemblait à la faiblesse du père de famille qui passe tout à ses enfans pour s’en faire aimer.

La bonté d’un souverain ne forme pas la garantie d’un peuple. La bonté est un accident comme la méchanceté est une maladie : ni l’une ni l’autre ne sont héréditaires, elles ne sont même pas constantes dans le même homme. Si Titus avait eu pour les Romains une tendresse moins intéressée, il aurait eu plus de souci du lendemain. Il connaissait Domitien, il lisait dans cette âme énergique et troublée, il y devinait peut-être un tyran. Il n’a rien fait pour prémunir Rome contre sa tyrannie, poussant l’égoïsme, comme Auguste, jusqu’à sourire au successeur qui le devait faire mieux regretter, et ne comprenant pas que Domitien serait sa flagrante condamnation. Son gouvernement n’a été que le règne du bon plaisir ; sa race n’a rien apporté au monde qu’un peu de clémence, effacé aussitôt par de sanglantes fureurs. La famille Flavia a profité simplement du système fondé au profit de la famille Julia ; elle a usurpé une puissance qui prétendait égaler celle des dieux ; elle a conduit les hommes comme un troupeau ; aucun de ses princes n’a rien fondé, rien tenté, rien médité pour redresser et fortifier sa patrie. Ils ont vécu d’expédiens, ils n’ont pas eu une seule idée politique, ils ont cherché uniquement leurs jouissances. Même lorsqu’un peuple est assez avili pour ne plus revendiquer ses droits, la justice agit sans lui et le venge : toute dynastie sans principes est morte, et la première tempête l’emportera comme la feuille séchée avant la saison.


BEULE.