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humaine. Il n’est pas douteux que la moralité ne soit un des caractères de la première classe ; mais de l’histoire ou de la conscience, qui en fait foi ? Évidemment la conscience. Et c’est parce que l’analyse psychologique ne confirme pas absolument l’expérience historique sur le point de la religiosité qu’il reste au moins un doute à ce sujet. S’il est bien vrai que la science et la philosophie remplacent définitivement la religion chez un certain nombre d’esprits d’élite, n’est-ce point le cas d’en conclure que la religion est un état transitoire plutôt qu’un principe éternel ? C’est donc au témoignage direct de la conscience qu’il faut recourir pour s’assurer que tel caractère donné par l’expérience historique est ou n’est pas essentiel à l’humanité.

Ensuite, alors même que la méthode psychologique des naturalistes réussit à découvrir un caractère vraiment essentiel, comme le sentiment moral, elle a toujours le grave inconvénient de s’arrêter à des phénomènes qui ne sont que la manifestation d’un principe constitutif de la nature humaine et qui peuvent se ramener eux-mêmes à des facultés premières. Pourquoi l’homme est-il un être moral ? Parce qu’il a une volonté libre et une raison. Sa raison lui révèle une fin à poursuivre dans le développement de la vie psychique et physique. Le sentiment de sa libre volonté lui fait une obligation, une loi de cette poursuite. Voilà comment il est un être moral. Pourquoi l’homme est-il un être religieux ? Parce qu’il possède la raison et l’imagination, la raison qui lui fait concevoir l’invisible et l’intelligible au-delà des choses visibles et sensibles, l’imagination qui confond les deux objets de sa pensée dans une représentation symbolique. C’est là du moins l’explication qui nous semble la plus conforme tout à la fois à l’expérience historique et à l’expérience psychologique. Que si l’on en fait un principe essentiel et permanent de la nature humaine, encore faut-il y voir ce qui en ferait le fond, c’est-à-dire l’aspiration invincible et éternelle de l’âme vers un monde d’espérances que la science et la philosophie ne peuvent absolument garantir ; mais une pareille définition dépasse trop la portée de l’expérience historique pour n’avoir pas son origine et son principe dans l’analyse psychologique. En tout cas, que la religion soit œuvre d’imagination ou besoin de foi, la conclusion à tirer de tous ces essais de définition tentés par les naturalistes psychologues, c’est que leur méthode est impuissante à donner une véritable idée de notre nature. Si on leur reproche avec raison, au nom de la physiologie, de classer l’homme à part et d’en faire le type d’un règne nouveau et suprême, sans pouvoir fonder cette classification sur des caractères vraiment anatomiques, on peut leur objecter, au nom de la psychologie, qu’ils s’arrêtent forcément, dans la définition