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physiologie et de la psychologie expérimentales. Il retrouve cette innéité d’instincts, d’affections dont la nature l’a si abondamment pourvu, et dont l’école de Hume l’avait dépouillé. Il retrouve enfin cet a priori de la connaissance humaine que Leibniz avait si bien vu, que Kant a si savamment décrit, qui, réduit à sa juste mesure, témoigne encore d’une manière si éclatante de la richesse naturelle de l’esprit humain.

Comment douter, par exemple, de la liberté en lisant cette description du triomphe de la volonté humaine ? « Dans cet état, dont le caractère est la beauté, dit Jouffroy, les capacités sont tellement rompues à l’obéissance par l’effet d’une longue et sévère discipline, qu’elles plient sans résistance à tous les ordres de la volonté, et jouent sous sa main avec la même facilité que les touches d’un instrument sous les doigts d’un musicien habile. Toute lutte a cessé, et la volonté, heureuse d’un empire facile, gouverne presque sans y penser, et fait des prodiges avec un abandon plein de grâce. A voir comment elle règne, on croirait que son autorité est naturelle, et l’on dirait d’un ange qui n’a jamais connu les fatigues de la pensée, les orages des passions, et les révoltes d’une sensibilité capricieuse. Une ineffable harmonie éclate dans tout ce qu’elle fait, parce que toutes ses facultés, dociles à sa voix, concourent à ses moindres desseins dans la mesure qu’elle veut et avec une égale aisance. Aussi tout ce qu’elle fait est plein et achevé[1]. » Qui ne reconnaît à ce tableau les heureux momens de sa vie où il s’est senti en pleine possession de lui-même, maître incontesté, sinon absolu, dans son empire ? Et quand le même observateur nous initie aux luttes, aux défaillances de la volonté, à toutes les misères d’une vie où l’homme, vaincu par les passions du dedans, distrait par les impressions du dehors, sent sa faiblesse au point de douter de cette liberté, si le remords n’en attestait l’invincible conscience, qui ne reconnaît sa propre nature prise sur le fait par une observation qui a pénétré dans l’intérieur de son être[2] ? Que nous font alors les ingénieuses explications d’une école qui ne tient compte d’aucune de ces révélations ? Nous nous sentons transportés au dedans de nous, au sein de la plus pure et la plus intense lumière qui puisse éclairer la scène de la vie morale. Nous voyons, nous touchons, nous possédons la vérité sur nous-mêmes, sur nos facultés et nos capacités, sur la spontanéité réelle de notre volonté, sur le secret mécanisme de notre vie morale, sur la nature même de notre être. Qu’importe que l’ordre et la régularité dans la succession des

  1. Mélanges philosophiques. — Les Facultés de l’âme humaine.
  2. Idem.