Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/778

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à son tour, il les peut contrôler. Les taxes qu’ils lèvent sur lui, il en surveille l’emploi ; il sait où va son argent. Au surplus, s’il est mécontent, il saura à qui s’en prendre, et ses plaintes auront quelque chance d’être écoutées. On lui a fait une réputation d’homme peu pratique ; il s’égare souvent dans les intérêts généraux, faute d’y prendre assez de part ; en revanche, il est très avisé sur ses intérêts prochains, immédiats, et il les discute mieux que personne. Sa commune est pour lui comme une grande famille : aussi lui est-elle si chère qu’il accepte tout d’elle, même la tyrannie. On voit dans les populations de la Suisse allemande, si jalouses de leurs franchises, si ombrageuses à l’égard de l’état, si attentives à borner ses pouvoirs, l’autorité communale exercer dans des questions de mariage ou de gestion de fortune des ingérences presque despotiques qui seraient insupportables à des Français, et qui à Zurich ou à Bâle n’étonnent et ne blessent personne.

Dans aucun pays, l’esprit municipal et communal n’est si fort ni si vivace qu’en Allemagne ; il faut ajouter que nulle part non plus l’esprit d’association libre n’est si répandu ni si puissant. En dehors de cette petite société à laquelle l’Allemand appartient par sa naissance, qui le baptise, le marie et l’enterre, il lui en faut une autre dans laquelle il entre librement et par choix, un verein dont il a voté les statuts, où il vit dans un commerce journalier avec ses pairs, qui élargit son moi en lui créant des intérêts communs à plusieurs, sans être ceux de tous, une association toute volontaire qui donne, pour ainsi dire, un peu de gloire à son bonheur en en faisant une petite chose publique, L’Allemand prend son parti de bien des privations. Vous lui persuaderiez sans trop de peine que le monde peut exister sans journaux et sans parlemens ; ôtez-lui le droit de s’associer, vous le réduirez au désespoir. On sait la prodigieuse fortune qu’ont faite en Allemagne les banques populaires, les sociétés coopératives ; elles y pullulent et elles y prospèrent, parce que l’Allemand est réfléchi, patient, parce qu’il a compris depuis longtemps qu’il faut semer avant de moissonner, parce qu’il est capable de s’imposer de grands sacrifices pour des intérêts où il voit clair et qui le touchent. Sa commune et son verein, voilà ses plus chères affections et de quoi remplir sa vie. Il s’occupe peu du gouvernement, et il tient à ce que le gouvernement s’occupe peu de lui. « Nous autres, Allemands du sud, disait l’un d’eux, nous n’avons pas encore bien compris l’utilité et la nécessité de l’état, et, s’il pouvait se passer de nous, nous aurions bientôt fait de nous passer de lui. »

Franchissez le Mein, vous trouverez un grand pays qui parle allemand et dans lequel l’idée romaine de l’état subsiste dans toute