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Slaves ni les Romans ; ils ont encore un patriotisme divisionnaire, un patriotisme de boutique et de bureau. Chez nous, un employé de la poste considère comme pays étranger tout ce qui n’appartient pas à son département ; il traite en ennemis tous les autres services publics et s’applaudit des mauvais tours qu’il peut leur jouer au profit de l’administration dont il relève. » Le particularisme est partout en Prusse, et d’abord dans les provinces, qui, en dépit de la bureaucratie, ne sont point disposées à abdiquer leur caractère, leurs coutumes, leurs traditions. Le Provençal et le Picard diffèrent plus entre eux de visage, d’allure, de tour d’esprit, que le Poméranien et le Westphalien ; mais vous trouverez chez eux un fonds commun d’idées et d’habitudes sociales. Il n’en va pas ainsi en Prusse. Si le Français dont nous parlions visitait tour à tour la province rhénane et l’une des provinces orientales de la Prusse, il serait bien surpris des différences qu’il observerait. Sur les bords du Rhin, il aurait eu affaire à un pays d’industrie où domine l’esprit démocratique, vivant sous le régime du code Napoléon et très attaché à ce régime, une sorte de Belgique allemande. Dans les provinces orientales, il verrait des populations qui ont gardé beaucoup de souvenirs du régime féodal, des campagnes d’où le servage n’a entièrement disparu que depuis dix-huit ans, les terres distinguées en terres nobles et en terres roturières ou vilaines, les propriétaires des domaines nobles exerçant un patronage sur la commune, remplissant les fonctions d’un bailli et d’un juge de paix, faisant la police locale, nommant le pasteur et le préposé communal, inspectant l’école, tout-puissans dans les assemblées de cercle, où ils siègent de droit. S’il parcourait le code civil de ces provinces, le fameux Land-recht, il s’apercevrait qu’il repose sur la distinction des trois classes, nobles, bourgeois et paysans, lesquelles ont leur représentation particulière dans les assemblées provinciales. A chaque pas, il rencontrerait des conflits de pouvoirs et de juridiction. On lui apprendrait qu’en Prusse c’est le clergé qui fait les mariages et le magistrat, qui prononce les divorces, et qu’il arrive souvent qu’un divorcé ne peut user du droit de se remarier, faute de trouver un ecclésiastique qui reconnaisse pour évangéliques les motifs du tribunal, de telle sorte qu’en Prusse on peut à la fois être divorcé et, ne l’être pas. Notre Français s’étonnerait que dans un pays où l’école obligatoire et le service militaire universel doivent rapprocher toutes les classes, la société soit en proie aux idées de caste et du haut en bas partagée en couches impénétrables les unes aux autres. Certaines anecdotes berlinoises mettraient le comble à ses étonnemens. Il arriva, il y a peu d’années, qu’un homme de qualité s’éprit d’une danseuse et l’épousa, Il en eut un enfant, auquel il légua sa fortune en mourant. Les collatéraux, frustrés de leurs espérances, attaquèrent le