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tueux, en lesquels et par lesquels les autres jouissent et goûtent l’idéal? Les événemens le diront. La supériorité de l’église et la force qui lui assure encore un avenir consiste en ce que seule elle comprend cela et le fait comprendre. L’église sait bien que les meilleurs sont souvent victimes de la supériorité des classes prétendues élevées; mais elle sait aussi que la nature a voulu que la vie de l’humanité fût à plusieurs degrés. Elle sait et elle avoue que c’est la grossièreté de plusieurs qui fait l’éducation d’un seul, que c’est la sueur de plusieurs qui permet la vie noble d’un petit nombre; cependant elle n’appelle pas ceux-ci privilégiés, ni ceux-là déshérités, car l’œuvre humaine est pour elle indivisible. Supprimez cette grande loi, mettez tous les individus sur le même rang, avec des droits égaux, sans lien de subordination à une œuvre commune ; vous avez égoïsme, médiocrité, isolement, sécheresse, impossibilité de vivre, quelque chose comme la vie de notre temps, la plus triste, même pour l’homme du peuple, qui ait jamais été menée. A n’envisager que le droit des individus, il est injuste qu’un homme soit sacrifié à un autre homme; mais il n’est pas injuste que tous soient assujettis à l’œuvre supérieure qu’accomplit l’humanité. C’est à la religion qu’il appartient d’expliquer ces mystères et d’offrir dans le monde idéal de surabondantes consolations à tous les sacrifiés d’ici-bas.

Voilà ce que la révolution, dès qu’elle eut perdu sa grande ivresse sacrée des premiers jours, ne comprit pas assez. La révolution en définitive fut irréligieuse et athée. La société qu’elle rêva dans les tristes jours qui suivirent l’accès de fièvre, quand elle chercha à se recueillir, est une sorte de régiment composé de matérialistes, et où la discipline tient lieu de vertu. La base toute négative que les hommes secs et durs de ce temps donnèrent à la société française ne peut produire qu’un peuple rogue et mal élevé ; leur code, œuvre de défiance, admet pour premier principe que tout s’apprécie en argent, c’est-à-dire en plaisir. La jalousie résume toute la théorie morale de ces prétendus fondateurs de nos lois. Or la jalousie fonde l’égalité, non la liberté; mettant l’homme toujours en garde contre les empiétemens de son semblable, elle empêche l’affabilité entre les classes. Pas de société sans amour, sans tradition, sans respect, sans mutuelle aménité. Dans sa fausse notion de la vertu, qu’elle confond avec l’âpre revendication de ce que chacun regarde comme son droit, l’école démocratique ne voit pas que la grande vertu d’une nation est de supporter l’inégalité traditionnelle. La race la plus vertueuse est pour cette école non la race qui pratique le sacrifice, le dévoûment, l’idéalisme sous toutes ses formes, mais la plus turbulente, celle qui fait le plus de révolutions. On étonne beaucoup les plus intelligens démocrates quand on leur dit qu’il y