Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/890

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’armée du Potomac, au printemps de 1865. Deux cent mille hommes défilant pendant-deux jours devant le nouveau président ont joyeusement déposé leurs fusils et sont rentrés chez eux paisiblement pour y reprendre leur profession, comme s’ils l’avaient quittée de la veille. Le colonel est redevenu avocat ou commis, le lieutenant est tailleur ou cordonnier. On ne leur a donné ni décorations, ni pensions, ni titres ; ils n’ont emporté avec eux que le souvenir du devoir accompli. Au moment du péril, on s’était soumis à toutes les exigences de la discipline, à toutes les souffrances de la guerre ; mais on était resté citoyen, on avait gardé les mœurs de la république. Soutenue par l’effort du pays tout entier la lutte finissait sans dictature.

J’ai montré les deux systèmes, on peut les comparer et les juger par leurs fruits. Peut-être s’étonnera-t-on que, n’étant ni intendant ni médecin militaire, je me permette d’écrire sur une question jusqu’à présent interdite aux profanes ; mais c’est précisément parce que je ne suis ni médecin ni intendant que je puis m’exprimer en toute liberté. Je n’épouse point une cause particulière, si juste qu’elle soit ; je laisse de côté les réclamations des médecins, quoiqu’elles me paraissent très fondées : c’est au nom du soldat que je parle, c’est lui qui est l’éternelle victime, ce sont ses droits que je défends. Je le répète, et je voudrais que toute la France m’entendît : le pays ne remplit pas son devoir envers le soldat. Il est temps de corriger cet abus.

J’espère que la chambre inscrira prochainement au nombre des réformes nécessaires la réforme du service médical de nos armées ; mais, si l’on m’a bien compris, on ne fera pas de cette demande une œuvre d’opposition. Il n’y a pas ici de coupable, il ne faut accuser que l’ignorance universelle. Le gouvernement a maintenu un système qui, en d’autres temps peut-être, a rendu des services : l’hygiène publique est une science née d’hier ; de son côté, le pays n’a rien su ; il a fallu la publication du docteur Chenu pour lui ouvrir les yeux, et cette publication, il est bon de le répéter, a été faite de l’aveu et avec le concours du gouvernement. Oublions le passé, ou plutôt n’y voyons qu’une leçon pour l’avenir. Aujourd’hui, s’il est une chose certaine, c’est que l’art de conserver et de faire durer le soldat n’est sous un autre nom que le respect et le ménagement de l’individu. Il est visible qu’ici l’intérêt, la justice et l’humanité sont d’accord. Hâtons-nous donc de provoquer cette réforme par un effort unanime et ne perdons pas le temps en querelles stériles quand il s’agit de la puissance et de l’honneur du pays.


ÉD. LABOULAYE.