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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/893

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rivière, qui semble venir du nord-est, car, s’il ne réussit pas à entrer en Chine par la voie du Mékong, M. de Lagrée a résolu d’y pénétrer en remontant le Nam-Hou.

Nous apprenons qu’à une courte distance du village de Tanoun il y a une montagne qui vomit du feu, suivant l’expression des indigènes. Nous avons rencontré déjà des volcans éteints, notamment dans le bassin du Sè-Don, en nous rendant à Attopée ; mais c’est la première fois qu’on nous signale un cratère en éruption, et ce fait a trop d’importance pour que nous ne nous mettions pas en mesure de le constater. Tandis que les autres membres de la commission poursuivent leur route en pirogues, nous mettons pied à terre, le docteur Joubert et moi, et, munis de guides, nous nous enfonçons vers le sud-ouest. Après une marche de 30 kilomètres environ sur le flanc des montagnes ou dans des gorges ravinées, nous apercevons du haut de Pou-Din-Deng (montagne de la terre rouge) un grand village entouré de vastes rizières et situé au centre d’une plaine immense qui semble le bassin d’un ancien lac. C’est le village de Muong-Luoc. Nous étions près de la source de l’un des bras dans lesquels le Ménam se ramifie à son origine. Le Mékong formant, à partir de Luang-Praban, un nouveau coude vers l’ouest, s’est beaucoup rapproché de ce dernier fleuve, dont huit lieues à peine le séparent ; mais il n’existe entre eux aucune communication. On a pu croire que, dans leur partie inférieure, ces deux grands cours d’eau, disparaissant en quelque sorte au milieu de l’inondation qui couvrait le pays, se confondaient pendant la saison des pluies. C’est là une exagération qui s’explique ; mais à la hauteur où nous sommes, dans ce pays montagneux, les deux bassins, nettement limités, demeurent absolument distincts. Il faut donc abandonner définitivement l’opinion exprimée par Martini et reproduite plus récemment par Vincendon Dumoulin, opinion d’après laquelle les deux fleuves se réuniraient dans le Laos.

Le chef de Muong-Luoc se montra très bienveillant et fort empressé ; il avait rassemblé chez lui toute la haute société de Muong pour voir deux êtres curieux à grande barbe et au visage pâle. Quant à lui, il connaissait déjà quelques spécimens de cette race singulière, car il avait été à Bangkok, et il avait rencontré là des femmes européennes avec les cheveux noués derrière la tête et des vêtemens longs et bouffans dont le souvenir le faisait encore pâmer de rire. Il avait parmi ses concubines une jeune sauvage au teint presque clair, à l’œil ardent et noir, qui aurait paru mieux placée dans une posada des Pyrénées que dans une case laotienne. La conversation, très animée malgré l’absence de tout interprète, fut émaillée de quiproquo et de coq-à-l’âne. Les tigres étant fort nombreux