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du volcan, jointe à la libéralité avec laquelle je laissais les ménagères couper les boutons en nacre de mes habits, nous valut dans ce village un excellent accueil. Bien qu’il y eût un caravansérail destiné aux voyageurs, on nous autorisa à étendre nos nattes dans une pagode en bois, sorte de chambre d’auberge bien close, telle que nous n’en avions point encore occupé jusque-là. En effet, les salas où nous avons coutume de nous établir, et même les cases construites exprès pour nous, ont toujours été faites d’un treillis de bambou qui interceptait souvent la lumière du jour, mais n’arrêtait guère ni le vent ni la pluie. Une petite statue dorée de Bouddha, debout et raide comme nos saints du moyen âge, brillait dans l’obscurité, et je dormis ce soir-là en songeant à la prodigieuse fortune de Siddârtha, ce jeune prince qui, pour avoir préféré la vie austère de l’ascète aux séductions de la puissance, parvint à l’état de Bouddha et reçoit encore, après vingt-cinq siècles, les adorations d’un quart de l’humanité.

M. de Lagrée s’était arrêté à Sien-Khong, grand village d’où la guerre avait chassé les habitans, qui commençaient à peine à revenir se grouper derrière une vaste enceinte en briques. C’est un chef-lieu de district dépendant de Muong-Nan et le dernier centre important du Laos, situé sur la rive droite du Mékong, où l’autorité de Siam soit encore reconnue. Le royaume de Xieng-Maï, vassal de Bangkok, touche bien au fleuve par la province de Xieng-Haï ; mais celle-ci ne possède sur les bords du Mékong qu’une ville récemment détruite, Xieng-Sèn, dont les ruines, sans intérêt pour l’explorateur, sont déjà enfouies sous les hautes herbes. Nous sommes à la frontière du Laos birman ; il était facile de s’en apercevoir à l’air effaré des fonctionnaires siamois, tremblant d’être enlevés par leur voisin, le roi laotien de Sien-Tong, implacable ennemi de leur maître. Le moment était donc venu pour nous de dissimuler nos lettres de Siam ; mais il aurait fallu pouvoir exhiber des passeports du gouvernement birman. Lorsque par l’intermédiaire de l’évêque catholique, car la France n’a pas de représentant officiel à Ava, l’amiral de La Grandière s’était adressé à l’empereur des Birmans pour obtenir ces papiers, l’empire traversait une crise qui s’est terminée par une de ces révolutions de palais, si fréquentes dans ces contrées, révolution qui a momentanément enlevé toute influence aux missionnaires. Dépourvus de ces sauf-conduits dont l’effet est de rendre les mandarins responsables des malheurs qui frappent les étrangers sur le territoire de leur administration, nous avions tout à craindre des Laotiens soumis aux Birmans, si ceux-ci étaient parvenus, en imposant leur joug à leurs tributaires, à leur faire en même temps partager leurs haines. Personne n’ignore en effet le résultat