Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

yeux fermés et en pensant à la France, des cotonnades de toute sorte provenant des fabriques anglaises. Ces derniers articles sont façonnés tout exprès pour le pays, des caractères et des dessins birmans sont tissés dans l’étoffe. La maison la plus importante du marché est celle du forgeron, qui est à la fois orfèvre et fabricant de monnaie. Ces trois professions exercées par le même industriel se touchent de fort près dans cette contrée, où il ne circule plus d’argent monnayé. Le tikal et ses subdivisions cessent d’avoir cours, et nous sommes contraints de faire fondre notre argent siamois dans un creuset qui lui donne la forme d’un macaron. Pour les transactions quotidiennes de peu d’importance, on coupe au hasard des morceaux d’inégale valeur qui sont appréciés à l’œil par les intéressés. On se sert au contraire d’une balance dans les marchés sérieux, car, à défaut d’unité monétaire, c’est d’après le poids de l’argent que s’établit le prix des choses.

Lorsqu’on passe du Cambodge au Laos siamois, la transition est à peu près insensible, d’autant plus que, pour les hommes au moins, le costume reste le même. Il en est ici tout autrement ; le changement est brusque et le contraste frappant. Le toupet siamois est remplacé par un chignon réunissant sur le sommet de la tête tout le faisceau de la chevelure, et dont un turban de couleur variée ne laisse voir que la pointe. Le langouti disparaît également devant le pantalon large qui tombe jusqu’à la cheville du pied. La pipe, fumée depuis longtemps même par les enfans, devient chez les tributaires de la Birmanie d’un usage plus général encore. Les femmes, plus sensibles au froid ou à la pudeur, portent presque toutes une veste serrée croisant sur la poitrine, en coton blanc ou bleu, quelquefois en soie teinte de couleurs variées et très riches. Elles ont en outre, fixé à la hauteur des hanches, un jupon rayé horizontalement de larges bandes bleues, jaunes et rouges. Leur coiffure se compose d’étoffes de toute nuance roulées en turban autour des cheveux, ou disposées à la façon des paysannes napolitaines et retenues par des épingles d’argent, dont la grosse tête constitue, avec des bracelets de même métal, les principaux ornemens d’une élégante. À ces détails de costume, j’ajouterai une observation générale sur le langage, ce vêtement de la pensée. Nous sommes encore dans le Laos, et l’on parle toujours le laotien ; mais cette langue est employée avec des modifications qui portent surtout sur la prononciation des mots et la construction de la phrase ; on n’a encore à constater qu’un petit nombre d’expressions nouvelles. Ces nuances, qui ne semblent pas altérer le fond même de la langue, déroutent la connaissance sommaire que nous en avons acquise par une étude superficielle, mais elles n’embarrassent guère notre interprète. Celui-ci continue avec