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peuples, toujours plus sûre que celle des rois ou de leurs représentans attitrés. C’est ce que l’auteur du Testament politique n’a pas compris ou n’a pas voulu dire pour rester dans la vérité du personnage qu’il jouait ; mais nous qui cherchons à saisir simplement les causes des événemens et à signaler leur influence mutuelle, nous sommes obligés de tenir compte des forces populaires, c’est-à-dire de la puissance de l’opinion, à laquelle l’avenir semble appartenir désormais. Je sais qu’un sultan n’est pas en position de bien comprendre en quoi consistent ces forces nouvelles ; il est un peu comme le Xerxès du poète Eschyle, qui tombait d’étonnement en apprenant que les Athéniens n’avaient pas de roi à leur tête et n’obéissaient à aucun homme ; mais nous qui vivons et qui comptons dans l’opinion publique, nous savons parfaitement à quel point elle s’impose chez les peuples libres, et nous sentons que le temps approche où elle régnera sans partage.

C’est tromper le sultan que de lui représenter les peuples constitués en démocratie comme privés de suite dans leurs idées et n’obéissant qu’à la passion du moment. Nos histoires sont soumises à des lois très précises, et les tendances populaires ont d’autant plus de suite qu’elles sont le produit spontané de la nature humaine. Les aristocraties ont moins de constance, de justice et de désintéressement, parce qu’elles obéissent surtout à l’intérêt. Enfin c’est dans les états gouvernés par des princes absolus que règnent plus que partout ailleurs l’esprit de système et le caprice. La Turquie en a bien assez de fois fait l’épreuve pour ne pas l’ignorer. Les grands-vizirs de sa hautesse doivent donc s’accoutumer à cette idée, qu’il leur faudra un jour traiter avec des nations et non plus seulement avec des princes, c’est-à-dire négocier au grand jour et non en secret, procéder par la voie droite et non par l’intrigue et la corruption. Ce sera le plus grand changement qui puisse s’opérer dans la politique extérieure de la Turquie.

Dans l’état présent des choses, il est certain que cet empire a deux alliés naturels, l’Angleterre et l’Autriche. Ce n’est pas que l’Angleterre ait quelque raison particulière d’aimer le sultan ou son système de gouvernement. En Europe, personne n’aime les organisations politiques de cette espèce : peu de personnes connaissent celle de la Turquie, et ceux qui la connaissent la détestent généralement, comme contraire à tous les principes admis en Occident. L’Angleterre a besoin que la route des Indes reste libre ; les Ottomans sont des sentinelles qui la gardent, assez forts pour la protéger, assez faibles pour ne jamais pouvoir l’occuper et la fermer aux autres. Il y a deux hypothèses que l’on peut faire également, et qui démontrent dans quelle mesure l’Angleterre s’intéresse à la