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des intrigues que le gouvernement de Lopez avait essayé de nouer dans le pays. Rien ne bougea cependant, ni dans le Corrientès ni dans l’Entre-Rios ; au contraire le principal personnage de l’Entre-Rios, l’ancien président de la république argentine, le général Urquiza, dont Lopez avait espéré et promis le concours à ses sujets, fit mine de réunir ses troupes, et le général Cacerès, l’un de ceux que l’on avait désignés comme membres du gouvernement provisoire, appela de son côté toute la population à prendre les armes contre les envahisseurs. Ceux-ci, frustrés dans les espérances qu’ils avaient conçues, se bornèrent à s’étendre prudemment sur la rive gauche du Parana, en détachant vers l’est et sous la conduite du colonel Estigarribia un corps de 12,000 hommes. Ce corps, après avoir traversé l’état de Corrientès, se dirigea sur l’Uruguay, avec la prétention d’envahir le territoire de la Bande-Orientale, où le triomphe du parti colorado et l’avènement du général Venancio Florès à la présidence de la république de l’Uruguay, favorisés par les Argentins et par le Brésil, étaient dénoncés par le maréchal Lopez comme un autre casus belli.

Il est plus facile d’imaginer que de décrire l’effet produit dans les pays intéressés quand on y reçut, presque coup sur coup, les nouvelles de ces agressions. Le sentiment public éclata en démonstrations tumultueuses et en cris de vengeance ; mais, pour se venger avec autant de rapidité que l’opinion l’aurait désiré, il aurait fallu une organisation militaire qui manquait partout. D’un autre côté, s’il était à peu près inévitable que les trois gouvernemens si cruellement provoqués dussent se réunir contre l’ennemi commun, il n’était pas moins certain que chacun apporterait dans la question des intérêts différens, et qu’à la distance où ils étaient placés les uns des autres, loin du théâtre des événemens, ils avaient besoin de temps pour se reconnaître et pour s’entendre. De Buenos-Ayres à Montevideo on compte seulement une quarantaine de lieues, qu’un bateau à vapeur peut franchir en douze ou quinze heures ; mais de ces deux villes à Rio de Janeiro, d’où l’alliance allait avoir à tirer ses principales ressources en hommes et en matériel, il n’y a pas moins de 500 lieues marines, comme il y en a 200 encore de Buenos-Ayres et de Montevideo à Corrientès, où il importait d’aller au plus vite combattre et arrêter l’invasion. Heureusement il se trouvait alors dans les eaux de la Plata une escadre brésilienne dont on allait pouvoir tirer parti. Commandée par l’amiral baron de Tamandaré, elle avait été appelée dans ces parages par suite des différends engagés tout récemment entre le Brésil et le gouvernement de Montevideo. Quoique ces différends eussent été apaisés, elle attendait encore pour partir les ordres de son gouvernement.

Il n’est donc pas étonnant que les alliés n’aient pu se présenter