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LA GUERRE DU PARAGUAY.

rent toutes les maisons, emmenant avec eux plus de 100,000 têtes de bétail, la principale richesse du pays. Cependant l’évacuation, qui commença le 31 octobre, s’accomplit presque sans difficultés. On comprend à la rigueur que le général argentin Paunero, avec le peu de forces dont il disposait, n’ait pas cru devoir poursuivre trop vivement l’ennemi, qui se retirait en conservant toujours la supériorité du nombre et de l’organisation ; mais il est plus difficile d’expliquer pourquoi l’escadre brésilienne, maîtresse du fleuve, ne chercha pas davantage à troubler l’opération et à rendre aux ennemis le mal qu’ils avaient fait à ses alliés.

Sans avoir livré aucune bataille considérable, le maréchal Lopez avait éprouvé durant ces neuf mois de guerre des dommages très sérieux. Loin d’avoir porté un coup sensible à ses adversaires, c’était lui qui avait essuyé des échecs très réels. Obligé de renoncer à l’offensive, qui est toujours d’un si grand avantage à la guerre, il était réduit à se défendre chez lui ; enfin il avait perdu dans ces tentatives stériles une vingtaine de mille hommes, le quart de ses soldats, et peut-être les meilleurs. Par contre, les adversaires qu’il n’avait pas pu entamer avaient eu le temps de se concerter, de signer un traité presque exclusivement dirigé contre sa personne et contre son pouvoir. Après avoir fait de gros emprunts, ils avaient acheté un peu partout des armes et du matériel de guerre, levé des troupes qu’ils commençaient à organiser avec des ressources tirées des États-Unis, de la France, de l’Angleterre et d’ailleurs. La fortune se déclarait en leur faveur ; mais cependant les alliés, qui avaient eu si aisément raison de l’invasion paraguayenne, allaient apprendre à leur tour ce qu’il en coûte, surtout avec des moyens presque improvisés, de porter la guerre chez un peuple résolu à se défendre et sur un terrain que la nature semble avoir préparé tout exprès pour la défensive.


III.

Le Paraguay est un pays dont la superficie est estimée à 76,000 milles carrés géographiques, c’est-à-dire qu’il est très sensiblement plus grand que la France, bien qu’il ne contienne guère plus de 1,200,000 ou 1,300,000 habitans, à peine les deux tiers de la population de Paris. Il se présente aux yeux sous la forme d’un angle ou d’un V majuscule, dont l’ouverture est tournée vers le nord et dont les côtés sont figurés presque régulièrement par le Parana et le Paraguay, qui dessinent exactement ses frontières orientale et occidentale. Après l’Amazone, ce sont les deux plus grands fleuves de l’Amérique du Sud. C’est le confluent de ces deux puissans cours d’eau qui forme, au midi, le sommet de l’angle, et c’est de là qu’ils