Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inspire les mythes comme ceux d’Indra vainqueur du nuage orageux, de Horus vengeant son père Osiris, méchamment mis à mort par Typhon. Dans le brahmanisme développé, c’est Çiva, dieu de la destruction, qui concentre et met en œuvre les élémens perturbateurs de l’univers. Çiva est encore le plus adoré des dieux hindous. Dans le polythéisme sémitique, le dualisme devient sexuel, ou bien, le soleil étant toujours l’objet principal de l’adoration, le dieu suprême est conçu sous deux formes, l’une riante, l’autre terrifiante, Baal ou Moloch.

Ce double caractère des divinités adorées n’est pas moins frappant lorsqu’on étudie le plus poétique et le plus serein des polythéismes, celui de la Grèce. Comme tous les autres, il plonge par ses racines dans le culte du monde visible, mais plus qu’ailleurs, si ce n’est toutefois en Égypte, les dieux grecs joignent à leur nature physique une physionomie morale correspondante. Ils ont vaincu les agens de désordre qui, sous le nom de titans, de géans, de typhons, menaçaient l’ordre établi. Ils sont donc les conservateurs invincibles de l’ordre régulier des choses ; mais, comme après tout cet ordre régulier est loin de se conformer toujours au bien physique et moral de l’homme, il en résulte que les dieux grecs ont tous, en proportion variée, leur face aimable et leur côté sombre. Par exemple, Phébus Apollon est un dieu de lumière, civilisateur, inspirateur des arts, purificateur du sol et des âmes, et pourtant il envoie aussi la peste, il est impitoyable dans ses vengeances, et il n’est pas très prudent de nouer avec lui des relations d’amitié. On en pourrait dire autant de sa sœur Diane ou plutôt de la lune, qui se personnifie tantôt sous les traits enchanteurs d’une belle et chaste vierge, tantôt sous la physionomie sinistre d’Hécate, de Brimo ou d’Empuse. Les horizons azurés de la mer sont d’abord de beaux oiseaux bleus, puis des filles de la mer admirablement belles jusqu’à la ceinture, qui ensorcellent les navigateurs avec leurs doux chants d’amour ; mais malheur à ceux qui se laissent séduire ! Cette physionomie mélangée de bien et de mal est un trait commun du panthéon hellénique, et se continue sans jamais se démentir du couple suprême, Jupiter et Héré (Junon), au couple souterrain d’Ædoneus ou Pluton et de son épouse la belle Proserpine, l’étrangleuse.

La mythologie latine suggère le même genre de réflexions, et, par ce qu’elle possède en propre, elle est encore plus dualiste que le polythéisme grec. Elle a son Orcus, ses Stryges, ses Larves, ses Lémures, etc. La mythologie slave a son dieu blanc et son dieu noir. Nos pères gaulois n’avaient pas des divinités fort attrayantes, et les dieux germains-scandinaves joignent à de précieuses qualités des défauts qui rendent le commerce avec eux tout au moins