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esprits « qui sont dans l’air » et du diable, quœrens quem devoret, il est plus que sobre dans les descriptions qu’il en donne. Une certaine réserve spiritualiste plane encore sur tout cet ordre de conceptions ; les diables sont invisibles ; on ne leur attribue point de corps palpable, et une foule de superstitions qui dériveront plus tard de l’idée qu’on peut les voir et les toucher sont encore inconnues. Pourtant, à partir de notre ère, nous pouvons considérer la période des origines de notre Satan comme close. Il représente le point de jonction du dualisme polythéiste et de ce dualisme relatif que le monothéisme juif pouvait à la rigueur supporter. On va le voir grandir encore et revêtir des formes nouvelles ; mais, tel qu’il est déjà, nous ne pouvons plus le méconnaître. C’est bien lui, le vieux Satanas, cauchemar de nos pères, en qui se concentre toute impureté, toute laideur, tout mensonge, en un mot l’idéal du mal.


II

Les premiers siècles du christianisme, bien loin de développer ce côté de l’Évangile, par lequel la doctrine nouvelle tendait logiquement à reléguer le diable dans les régions du symbole et de l’inutilité personnelle, ne firent au contraire qu’accroître son domaine en multipliant ses interventions dans la vie humaine. Il servit de bouc émissaire à l’horreur des premiers chrétiens pour les institutions du paganisme. Dans les premiers jours même, les chrétiens ne distinguaient pas très clairement l’empire romain de l’empire de Satan. Ce point de vue trop juif ne dura pas, mais le thème favori de la plupart des apologistes fut d’attribuer aux ruses et à l’orgueil du diable tout ce que le polythéisme présentait de beau et de laid, de mauvais et de bon. Le beau et le bon qui pouvaient s’y trouver mêlés n’étaient autre chose à leurs yeux que des parcelles de vérité artificieusement mélangées par l’ennemi du genre humain avec d’épouvantables erreurs, afin de mieux retenir les hommes que le faux absolu n’aurait pu captiver si longtemps. Les alexandrins seuls se montrèrent plus raisonnables, mais n’eurent pas grande prise sur la masse des fidèles. Alors surtout se répandit l’idée que Satan était au fond un rival ridicule, mais longtemps puissant, de Dieu, seul adorable. Ayant soif d’honneurs et de domination, il avait imité du mieux qu’il avait pu la perfection divine, il n’avait réussi qu’à en faire une odieuse caricature ; mais, telle qu’elle était, cette caricature avait aveuglé les nations. Tertullien trouva même à ce sujet l’un de ces mots caractéristiques où excellait sa verve insultante. « Satan, dit-il, est le singe de Dieu, » et le mot resta. Par conséquent les dieux gréco-romains furent, pour les chrétiens comme pour les Juifs, des démons ayant usurpé le rang divin. La