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était dû au gouvernement russe, qui, voyant d’un œil jaloux l’Angleterre chercher à s’ouvrir une voie de communication vers l’Inde, avait agi sur l’esprit du vice-roi en lui persuadant que l’expédition avait une portée plus sérieuse qu’on ne l’avouait, et l’avait déterminé à s’y opposer. Il agissait alors envers l’Angleterre comme celle-ci, vingt ans plus tard, devait agir envers la France en cherchant à entraver le percement de l’isthme de Suez. Quoi qu’il en soit, la situation était embarrassante. Trois alternatives se présentaient : faire le tour de l’Afrique et remonter l’Euphrate par Bassora, retourner à Malte et attendre que le gouvernement eût réussi à vaincre la résistance de Méhémet-Ali, ou bien enfin débarquer quand même le matériel, renvoyer les vaisseaux et se montrer par là décidé à poursuivre l’expédition. C’est à ce dernier parti que l’on s’arrêta, et le point de débarquement choisi près de Souédie, à l’embouchure de l’Oronte, on se mit immédiatement à l’œuvre. En quatre jours, un camp retranché avec une pièce de canon à chaque angle fut construit ; des tentes furent dressées pour abriter les instrumens et les provisions ; un grelin fut jeté entre le rivage et le George Canning, afin de permettre aux bateaux de franchir plus facilement la barre de l’Oronte. Le débarquement s’opéra sans accident, favorisé par un temps magnifique et malgré les protestations des autorités locales, qui paraissaient consternées. Pendant ce temps, quelques officiers faisaient le levé de la côte, et le colonel Chesney, sur la Colombine, se rendait à Tripoli, où se trouvait Ibrahim-Pacha avec son armée. Ne pouvant rien en obtenir, il lui signifia qu’il poursuivrait quand même son expédition, et le renvoi du George Canning et de la Colombine ne laissa aucun doute sur cette détermination.

Il s’agissait maintenant de transporter jusqu’au bord de l’Euphrate, c’est-à-dire sur une longueur de 140 milles (225 kilomètres), tout le matériel des bateaux à vapeur, besogne difficile dans toute circonstance, mais rendue presque impossible par l’absence de routes et le refus de concours de la part des habitans. Le lieutenant Lynch fut envoyé en avant pour déterminer le point d’arrivée ; il choisit un emplacement situé un peu au-dessous de Bir, et sur lequel il serait facile de reconstruire les bateaux à vapeur ; en même temps deux autres officiers, MM. Cleaveland et Charlewood, remontaient l’Oronte pour en faire le sondage et voir s’il serait possible d’utiliser ce cours d’eau pour le transport d’une partie du matériel jusqu’au lac d’Antioche, à peu près à mi-chemin de l’Euphrate. La rivière paraissant navigable malgré la rapidité de son courant, on résolut de construire le Tigre, afin de s’en servir pour la remonter. Le 22 mai, ce bateau, complètement terminé, fut lancé en présence d’un grand concours d’habitans qui poussaient des cris