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falsifié son testament ; c’est ainsi qu’il saisissait toutes les occasions de décrier publiquement son frère, ou de lui tendre secrètement des embûches. Un jour il voulait soulever les armées, le lendemain s’enfuir de la cour. L’histoire ne cite aucun acte, aucune entreprise qui ait fait courir le moindre danger à Titus. Tout se réduisait à des paroles sans effet, aux mauvais procédés d’un impuissant et aux tendres reproches que Titus accompagnait de ses larmes. Le seul fait grave est le refus de Domitien lorsque la main de Julie, fille de Titus, lui fut offerte. Ce refus aurait été impossible sous Auguste, fatal sous un autre empereur. On pouvait tout se permettre avec Titus, affaibli par le bonheur, et dont le cerveau n’avait plus de ressort, même pour la colère. D’ailleurs l’héritier de l’empire n’avait point besoin de cette union ; il ne craignait point un autre gendre, il ne voulait point surtout répudier sa femme Domitia, qu’il aimait toujours avec passion. Il se réservait de séduire plus tard Julie, dont la jeunesse était sans défense, et d’afficher son commerce incestueux avec elle. Ce n’étaient que des représailles, puisqu’on accusait Titus d’adultère avec sa belle-sœur Domitia.

Enfin la fortune couronna, comme il était juste, les désirs de cet ambitieux aussi lâche qu’éhonté. Titus mourut après deux ans de règne, et Domitien fut proclamé. Jamais prince n’avait désiré l’empire avec plus d’âpreté : après l’avoir possédé quelques mois, il avait dû s’en dessaisir pour le remettre à un père et à un frère qui avaient vécu dans les camps, qu’il connaissait à peine, qui l’avaient délaissé et qu’il n’aimait point. C’était son bien qui lui était rendu ; c’était sa proie qu’il saisissait de nouveau ; il semblait que ses appétits contenus allaient reparaître effrénés, que la soif déçue du pouvoir allait faire place à des satisfactions insensées. Il n’en fut rien. Le sentiment de la possession rendit à Domitien le calme et l’esprit des Flaviens. Il redevint maître de lui en se voyant maître du monde. Jaloux d’effacer un père qui l’avait dépouillé, — un frère qui ne l’avait point associé à sa puissance, — il chercha par quels moyens il capterait le plus sûrement l’admiration des hommes. Vespasien avait été un excellent administrateur, Titus le plus débonnaire des princes : Domitien promit d’administrer mieux que Vespasien et de se faire aimer plus que Titus. A peine âgé de trente ans, doué d’une intelligence rare, voyant combien il était facile de conduire l’empire, façonné depuis un siècle à l’esclavage, et de satisfaire des sujets qui ne réclamaient que des fêtes et des plaisirs, il résolut de jouer plus longtemps que Titus la délicieuse comédie de la clémence, et de faire oublier, à force de bienfaits, le règne éphémère et jusqu’au nom d’un rival qui lui avait fait éprouver depuis son enfance toutes les tortures de l’envie.

En effet, les premières années de son règne sont presque un