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dépendre de l’empereur seul. Il s’agissait uniquement d’échapper à l’ambition envahissante des grands seigneurs ou des hauts fonctionnaires qui peu à peu, par toute sorte d’empiétemens et de concessions achetées, tendaient à se perpétuer au pouvoir et à fonder des dynasties. Ce fut contre cette effrayante éclosion de souverainetés princières que s’organisa dès lors un peu partout la résistance des communes ; mais en Suisse le cri d’alarme ne partit pas des centres, il gronda longuement sur les montagnes, où se formèrent toutes seules des communes rurales, les seules de ce temps-là qui aient pu subsister et qui vivent encore de nos jours. Enfermés dans leurs rochers comme dans des murailles, les simples gens des bois ont su dès le premier moment, par un admirable instinct du droit, se rapprocher, se grouper, se serrer fortement comme les sapins dont ils avaient pris la place, et cette vie publique, encore inconnue presque partout dans notre siècle, ces montagnards illettrés l’ont eue sans interruption depuis six cents ans.

Uri fut donc en Suisse, dès 1231, le premier peuple libre ; cependant Schwyz, encore en tutelle, tenait à conquérir le même privilège, et les gens de cette vallée, plus remuans que ceux d’Uri, suivaient d’un œil attentif, pour en tirer profit, les événemens qui se passaient en Europe. Ils s’intéressaient aux luttes entre le sacerdoce et l’empire, entre l’empire et la maison de Habsbourg, ils prenaient parti pour l’empereur, afin d’obtenir de lui qu’il les rendît libres, c’est-à-dire qu’il les fit dépendre de lui seul. L’empereur accordait le diplôme d’affranchissement, quitte à le reprendre ensuite et à replacer les Schwyzois sous les Habsbourgs, quand il se réconciliait avec ceux-ci. Les Schwyzois alors s’insurgeaient, et si bravement, qu’un Habsbourg (Rodolphe le Taciturne), ne se sentant pas assez fort contre ces paysans résolus, appela un jour à son secours les foudres de Rome. Les foudres ne se firent pas attendre ; elles tombèrent, le 28 août 1247, sur les Schwyzois et leurs confédérés, ou plutôt à côté d’eux, car ils n’en tinrent aucun compte. Leur pays fut mis en interdit « dans le cas où ils persisteraient à se déclarer pour l’empire et où ils refuseraient de rentrer sous la loi de leur légitime souverain. » Le légitime souverain pour Rome, qui a toujours simplifié dans son intérêt les questions de droit, ce n’était donc pas l’empereur.

Cependant les Hohenstauffen tombèrent, et un Habsbourg, Rodolphe, devint empereur (1273). Ce fut un grand malheur ou du moins un grand danger pour les vallées suisses. Rodolphe pouvait, comme chef de l’empire, disposer de ces vallées en faveur de sa maison. Tout lui appartenait à double titre : ce qui échappait à sa juridiction de comte retombait sous son pouvoir de souverain ; il avait réglé l’ancien débat entre sa famille et l’empire en cumulant les