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habitant ces vallées, soit dans les domaines et les bourgs vulgairement appelés Waldstet. » Henri VII ne repoussa pas cette réclamation, mais provoqua une enquête pour savoir au juste quels étaient dans les petits cantons les droits de l’empire et ceux de la maison d’Autriche, car en réalité c’était une affaire entre la couronne et les Habsbourgs. Henri VII, qui promettait volontiers, s’engagea par écrit à respecter les conclusions de ce rapport ; mais il n’eut pas le temps de manquer de parole ; il mourut en 1313, et l’enquête ne put avoir lieu. Cependant sa mort dut inquiéter les Suisses. Qui serait empereur à sa place ? Peut-être un ami des Habsbourgs, peut-être même un Habsbourg ! On sait comment les électeurs tranchèrent la question : au lieu d’un empereur, il y en eut deux, Louis de Bavière et Frédéric d’Autriche. Les Suisses devaient naturellement s’attacher à Louis de Bavière, mais ils savaient attendre, et ne firent point les premiers pas. Ce fut l’empereur qui vint à eux, leur annonçant « qu’il était prêt à réprimer l’audacieuse arrogance des ducs d’Autriche, qui mettaient en péril le bien public et menaçaient de tout bouleverser. » Les Suisses répondirent en sollicitant l’intervention du souverain, « afin d’être relevés des effets de l’excommunication religieuse et de l’interdit politique que l’abbé d’Einsiedeln, pour se venger de leurs hostilités, avait fait prononcer contre eux, » On le voit, les montagnards ne se donnaient pas sans condition et commençaient par demander ; ils réussirent. L’excommunication sera levée par l’évêque de Mayence, l’interdit par l’empereur, qui dans son arrêt consacrera la communauté des trois vallées. Par malheur, il y avait un autre empereur, Frédéric d’Autriche, qui, rendant œil pour œil et arrêt pour arrêt, déclara que les trois vallées appartenaient à sa famille. Ainsi posée, la question ne pouvait être résolue que par les armes. De là cette campagne étonnante, à la fois dramatique et vraie, qui se termina par le combat du Morgarten, ces Thermopyles de la Suisse, mais des Thermopyles où les Schwyzois, ces Spartiates modernes, furent vainqueurs.

On peut lire dans le livre de M. Rilliet l’histoire détaillée et savamment étudiée de cette bataille, ou dans la brochure de M. Bordier le récit naïf d’un contemporain, le moine de Winterthur. On y verra comment le duc Léopold d’Autriche, se chargeant d’exécuter l’arrêt de l’empereur Frédéric, son frère, rassembla une puissante armée, la chevalerie la plus vaillante et la mieux aguerrie, prête à châtier rudement l’insolence des montagnards. Les gentilshommes s’étaient mis en guerre ou plutôt en chasse, emportant avec eux de grosses cordes pour ramener les troupeaux enlevés. Les Schwyzois, abandonnés par leur empereur, qui ne leur envoya pas de secours, n’avaient pour eux qu’une poignée de confédérés et