Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais sans trop regarder derrière soi, et notamment sans attendre que toutes les difficultés soient résolues. Des difficultés, il y en aura toujours, elles pourront seulement devenir plus graves faute de cette union qui aurait pu s’accomplir aujourd’hui. Les chefs du centre gauche reviendront-ils sur leur résolution ? — On a semblé jusqu’au dernier moment compter sur un retour de quelques-uns d’entre eux ; s’ils persistent à se tenir à l’écart, on ne peut pas se le dissimuler, M. Émile Ollivier se trouvera dès le premier instant dans une position critique, ayant d’un côté une certaine portion du tiers-parti donnant la main à la gauche et de l’autre, une fraction de la droite qui un jour ou l’autre peut le mettre dans l’embarras, ne fût-ce que par une abstention calculée. C’est le moment pour M. Émile Ollivier de montrer s’il est un homme d’état fait pour porter sans faiblir la fortune politique qu’il a si patiemment conquise. Ce n’est pas la résolution qui paraît lui manquer ; il semble bien décidé à ne pas se laisser décourager par les refus de concours qu’il a essuyés. Aujourd’hui il n’a plus qu’une chose à faire, il n’a plus qu’à se hâter de former son ministère, à se mettre à l’œuvre pour commencer avec l’année nouvelle cette épineuse et délicate entreprise du rétablissement pratique des institutions libres.

À l’heure où cette année s’achève et où se fonde en France un gouvernement nouveau, l’Europe elle-même poursuit son œuvre laborieuse de civilisation et de progrès ; elle cherche l’ordre dans une liberté plus étendue, la paix dans une situation générale renouvelée et transformée par les révolutions ou par la conquête. Elle voit passer et se succéder des crises ministérielles, comme celles de l’Italie, de l’Autriche, de la Bavière, des conflits locaux comme l’insurrection dalmate, des querelles comme celle qui a menacé un moment de s’envenimer entre le sultan et le vice-roi d’Égypte, de grandes manifestations religieuses comme le concile de Rome. Tout se mêle ; les incidens graves n’excluent pas les incidens frivoles. Au premier rang des choses sérieuses est certainement le concile, dont l’inauguration a coïncidé avec la fin de l’année, et qui prépare peut-être à l’année nouvelle plus d’une surprise. Les pères de la foi rassemblés à Rome n’ont rien décidé encore sur les points délicats, ils ne sont pas si pressés. En attendant, on passe des revues de l’armée pontificale dans les jardins de la villa Borghèse, et le pape lui-même ne dédaigne pas de montrer à l’occasion une bonhomie ingénieuse. L’autre jour, recevant nos prêtres français, Pie IX leur racontait une petite histoire qui ne laisse pas d’avoir son prix. C’est l’histoire d’un grand saint, Pierre d’Alcantara, à qui était allé s’adresser, pour lui demander conseil, un vieux marquis espagnol, un de ces hommes qui se plaignent toujours, qui « trouvent que tout le monde est mauvais, que les inférieurs ne sont pas soumis, que les supérieurs ne sont pas habiles, que ceux qui gouvernent la société la gouvernent mal. » Le saint se recueillit, eut recours à la prière, et, après une longue médi-