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modification constitutionnelle doit être acceptée par les deux chambres à la majorité absolue des voix. Les événemens de 1866 offraient au gouvernement prussien une admirable occasion de se tirer d’affaire, de se délivrer tout au moins d’une partie de ses embarras, des incessantes contestations des trois facteurs, La Prusse dorénavant n’était plus livrée à elle-même ; elle allait devenir le centre d’une confédération du nord qu’il s’agissait de constituer ; terrain tout neuf, surface plane, unie, où l’on pouvait bâtir à sa guise. Au lieu de modifier la constitution prussienne, on en ferait une autre à côté, qu’on se rendrait aussi commode, aussi agréable que possible, et on aurait soin d’écrire au frontispice de ce nouveau bâtiment que, dans tout ce qui relève de la compétence de la confédération du nord, les lois fédérales ont le pas sur les lois particulières des états. Désormais on pourrait accomplir fédéralement en Prusse beaucoup de choses que la constitution prussienne avait rendues jusqu’alors impraticables ou difficiles.

Il semble qu’avant d’en arriver là, M. de Bismarck dut éprouver quelque hésitation, car enfin, parmi ces trois facteurs que la charte prussienne admet au partage du pouvoir législatif, se trouve la chambre haute, la chambre des seigneurs, palladium de la royauté, rempart assuré contre les innovations dangereuses, contre les prétentions outrecuidantes de la chambre bourgeoise, élective et libérale. Sacrifier la chambre des seigneurs ! M. de Bismarck put-il s’y résoudre sans frémir ? Ce serait le mal connaître que d’en douter. Assurément il a commencé par être un chevalier de la croix, il a fait ses premières armes dans le parti féodal, il en fut longtemps le porte-bannière. Tous les grands hommes ont leurs années de candeur ; mais le naïf qui est en eux s’use vite, et ils sont impitoyables dans la revanche qu’ils prennent de leurs crédulités. M. de Bismarck, qui depuis longtemps n’est plus un Éliacin, a raconté un jour au Reichstag l’histoire de ses changemens et de ses expériences, comme quoi il avait porté en 1850 au parlement d’Erfurt les sentimens de pieux conservatisme qu’il avait sucés dans la maison paternelle avec le lait de sa nourrice, et qu’avait avivés en lui la tourmente révolutionnaire de 1848 ; mais, à peine entré dans les affaires, il avait appris à connaître la politique pratique, qui est la grande politique, et il s’était bientôt convaincu que « le monde vu des coulisses est tout autre que vu du parterre, et que beaucoup de prétendues grandeurs, avec lesquelles on l’avait accoutumé à compter, n’étaient que néant. — Je ne suis pas de ces hommes, ajouta-t-il, qui n’apprennent rien des années et de l’expérience. »

Bien qu’il n’ait jamais rompu avec ses anciennes amitiés, qu’il sache au besoin les regagner et endormir leurs mécontentemens par