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demi-Francforts, et si en tondant les moutons on ne risque pas de les écorcher.

M. de Bismarck ne voulut pas que les condamnés pussent se faire illusion sur leur sort. A peine les eut-il comptés, il leur annonça qu’on avait des sacrifices à leur demander, qu’on allait pratiquer sur eux une opération qui sûrement ne serait point de leur goût, que la résignation est le meilleur adoucissement aux maux inévitables, qu’au surplus il s’engageait à les opérer d’une main légère. « Il s’agit pour vous, leur dit-il à peu près, de devenir une grande nation. Or l’indépendance illimitée des petits états et des petites dynasties a été le fléau de l’Allemagne, la principale cause de sa faiblesse. Il va sans dire par conséquent que nous allons vous prier d’abdiquer une part de votre indépendance. Exécutez-vous galamment pour le plus grand bien de l’Allemagne. » Ce langage n’avait rien d’énigmatique pour les plénipotentiaires : ils savaient ce que parler veut dire et ce qu’on entend à Berlin par le plus grand bien de l’Allemagne.

C’est une chose charmante que de devenir une grande nation ; mais les frais d’établissement sont considérables. Voilà ce qui épouvantait les petits gouvernemens. Qu’on leur enlevât les plus beaux fleurons de leur couronne, qu’on fît d’énormes accrocs à leurs droits de souveraineté, qu’on les transformât d’un coup de baguette en vassaux et en hommes-liges du roi de Prusse, si dure que leur parût cette métamorphose, ils en prenaient encore leur parti. Ce qui leur causait les plus vives appréhensions, c’étaient les charges nouvelles qu’on prétendait leur imposer. Le système militaire prussien allait être étendu à toute la confédération ; le service obligatoire universel, trois ans sous les drapeaux, quatre ans dans la réserve, Weimar et Rudolstadt comme Hambourg et Brême allaient être soumis à ce régime ! C’était l’idée du roi Guillaume, lequel tient beaucoup à ses idées ; il n’y avait sur cet article aucune concession à espérer de lui. Sombre perspective, avenir plein d’embarras et de dangers ! comment se tirerait-on d’affaire ? comment se procurer des fonds ? On allait vider ses caisses, solder chaque année ses comptes par un déficit. Quelques-uns de ces états avaient des finances un peu dérangées ; ils désespéraient de faire face à la situation. On s’épuisa en représentations, en très humbles remontrances ; M. de Bismarck fut inflexible : ce qu’il exigeait était le minimum de ce qu’un roi de Prusse a le droit de requérir de ses confédérés, le minimum de ce que réclamait le bien de l’Allemagne.

En revanche, sur d’autres points, il était infiniment plus coulant et se montrait bon prince. Parmi les gouvernemens confédérés, il en était un dont on n’avait guère à se plaindre. C’était Mecklembourg,