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conseil fédéral ; parmi les sept commissions, il n’en est aucune qui ait à s’occuper des affaires étrangères, arche sainte à laquelle le roi de Prusse peut seul toucher. Libre à lui d’engager ses confédérés dans quelque entreprise qu’il lui plaise sans les consulter. Étrange confédération, qui n’a pu être imaginée qu’à Berlin !

Enfin par quel organe s’exercent les pouvoirs fédéraux du roi de Prusse, et qui sert d’intermédiaire entre la présidence et le Bundesrath ? Le très grand personnage qui remplit ces importantes fonctions s’appelle le chancelier fédéral. Il n’a pas été moins modeste que son auguste maître : il faut chercher les articles qui le concernent, qui définissent ses attributions, comme on cherche une violette dans un pré ; son parfum seul la trahit. Ces deux articles portent : l’un, que la présidence du Bundesrath et la conduite des affaires appartiennent au chancelier, qui est à la nomination du président, — l’autre, que les ordonnances et les décisions du pouvoir exécutif sont rendues au nom du Bund et contresignées par le chancelier fédéral, qui par là en assume la responsabilité, clause ajoutée par le Reichstag constituant. Ces deux articles disent beaucoup de choses en peu de mots, ils n’en diront jamais assez. Le chancelier, qui tient si peu de place dans la constitution, en tient beaucoup, comme on peut croire, dans la confédération du nord ; il en est l’âme, la cheville ouvrière : tout passe par ses mains, et tout y revient ; c’est par lui que tous les rouages de la machine se combinent et s’engrènent ; il préside et il dirige ; il parle et il agit ; il propose et dispose. Il y a dans sa situation quelque chose d’indéfinissable, de savantes obscurités, de mystérieuses complications. La Prusse étant à peu près tout dans le Nordbund, il convenait que le chancelier fût aussi président du ministère prussien. Comme d’autre part les questions extérieures relèvent de lui, et que seul il en est responsable, il était nécessaire aussi qu’il fût le ministre en titre des affaires étrangères. Enfin il est encore de son office de chancelier d’avoir la conduite de toutes les affaires intérieures de la confédération. Trois fonctions réunies sur une même tête, vraie trinité politique ! On conviendra qu’un seul homme était capable de porter ce triple fardeau sans plier, et que l’article 15 est incomplet, il devrait stipuler que le président nomme le chancelier fédéral, lequel est tenu d’être un homme universel, un génie.

En revanche, ces fonctions si lourdes ont leurs avantages, qu’avait prévus l’inventeur de la constitution. M. de Bismarck est un de ces hommes qui ne sont heureux que lorsqu’ils ont leurs coudées franches, et ne partagent avec personne la responsabilité de leurs actions. Ce n’est pas seulement le contrôle parlementaire qui lui pèse, les délibérations en commun dans le sein d’un conseil de