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faut l’attendre. C’est là une vérité désormais hors de doute, et qu’imposerait certainement à tous les esprits l’exploration complète du fleuve du Tongkin. Il s’agit pour le moment de rétablir le courant commercial qui existait autrefois entre deux pays qui l’un et l’autre, bien qu’à des degrés divers, souffrent de l’interruption du trafic. Il serait assurément plus habile de faire servir à la reprise et au développement de ces utiles relations ces nombreux Chinois qui ont, en masses compactes, quitté leur patrie, déchirée par la guerre civile, que de se montrer à leur égard tracassier et défiant. C’est pourtant de ces sentimens hostiles, fondés sur des rancunes invétérées plutôt que sur des appréhensions sérieuses, que s’inspire, dit-on, Tu-Duc pour repousser les victimes de l’anarchie chinoise. Le temps n’est plus où l’Empire-Céleste, à l’apogée de sa puissance, forçait tous les états voisins à graviter dans son orbite. Il traverse lui-même une crise trop générale et trop formidable pour que son ingérence dans les affaires annamites puisse être à redouter. Voilà ce qu’il importe de comprendre, afin d’abaisser les barrières artificielles élevées entre le Yunan et le Tongkin par la politique ou la fiscalité ; mais voilà malheureusement ce qu’il sera difficile de faire entendre à notre allié tant que notre influence ne sera pas en mesure, de combattre jusque dans ses conseils le parti des lettrés, intraitable ennemi des idées européennes. Un protectorat exercé directement comme au Cambodge ou tout au moins une complète liberté commerciale obtenue dans les ports du Tongkin et garantie par l’installation à Hué d’un représentant officiel relevant du gouverneur de la Cochinchine, on ne voit pas d’autre moyen pour sortir de l’impasse où nous acculeraient une timidité sans excuse aussi bien que des scrupules par trop naïfs. Lorsque l’on observe attentivement les efforts persévérans que fait incessamment l’Angleterre pour attirer sur ses marchés de l’Inde ou de la Birmanie le commerce de la Chine occidentale, on demeure confondu de notre indifférence à profiter d’une situation exceptionnelle et de circonstances qui ne seront pas toujours aussi opportunes. Arriver les premiers et créer aux négocians des habitudes, c’est là un avantage plus précieux encore en Orient qu’en Europe, et que la guerre actuelle semble nous offrir à un degré inespéré. Cette guerre obstrue en effet les anciens débouchés par où s’écoulaient les produits du Yunan dans la vallée de l’Irawady, et oppose des obstacles nouveaux à l’ouverture de ce passage cherché par les Anglais entre l’Inde et la Chine avec plus d’obstination que de bonheur. Si l’on songe qu’il s’agit de diriger vers une terre française les produits d’une vaste région qui comprend, sans mentionner le Laos septentrional, quatre des plus riches provinces de la Chine, et d’ouvrir en