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réfractaire aux nouveautés : toute tendance arminienne lui était suspecte, car l’antagonisme entre les deux doctrines sur les conditions du salut subsistait toujours, et la réforme de la réforme continuait de suivre deux courans distincts. Des scissions éclataient dans le sein même des sociétés wesleyennes. « Quelles œuvres n’aurions-nous pas faites dans toutes ces contrées (le Staffordshire), écrivait Wesley, si ce n’étaient ces misérables disputes attisées par les partisans de la prédestination, qui ont réussi à jeter hors de la bonne voie tant d’âmes qui marchent bien ! Aux jours de la persécution, quand nous portions notre vie dans nos mains, aucun d’eux n’approchait ; les vagues étaient trop hautes pour eux ; mais dès que le calme a reparu, ils sont accourus, sur nous de tous les points de l’horizon et nous ont enlevé nos enfans. »

Et cependant un rapprochement s’était opéré entre Whitefield et lui. Ils n’associaient pas leurs travaux, mais ils poursuivaient simultanément la même œuvre, et, tout en différant sur une question de théologie, ils se formaient le même idéal de piété et se savaient mutuellement gré de leurs efforts. Il faut qu’une doctrine fasse du bruit longtemps pour que les hautes classes consentent à s’en informer. Le méthodisme était enfin parvenu jusqu’à elles. Whitefield, dont l’éloquence avait plus d’éclat, leur inspirait quelque curiosité. Il s’était fait entendre de lady Huntingdon, qui accepta sa doctrine. Selina Shirley, veuve en 1746 du neuvième comte de Huntingdon, consacrait sa fortune à de pieuses fondations. On l’appelait la comtesse Mathilde du calvinisme ; elle dotait des collèges, bâtissait des chapelles, et faisait entendre dans son salon ses prédicateurs favoris aux hommes éminens de son temps. C’est chez elle que Whitefield parla devant lord Bolingbroke et lord Chesterfield, deux esprits forts qui le complimentèrent avec emphase. On cite aussi parmi ces auditeurs choisis Pitt, le meilleur des juges en fait d’éloquence, ainsi que lord Aberdeen et le duc d’Argyle, deux Écossais qui devaient comprendre encore mieux la doctrine de la libre grâce et du salut gratuit. Le cénacle de lady Huntingdon n’a pas été sans influence. Peut-être le parti évangélique en est-il sorti.

Wesley étant tombé gravement malade, Whitefield lui écrivit de Bristol (3 décembre 1753) une lettre touchante où on lit ces mots :

« La nouvelle et la perspective de votre fin prochaine m’ont tout à fait consterné. Je me plains moi-même, et je plains l’église ; mais je ne vous plains pas, un trône glorieux vous attend, et avant peu vous entrerez dans la joie de votre maître. Il se tient là, une couronne éclatante dans les mains ; il va la poser sur votre tête au milieu de l’assemblée émue des saints et des anges) ; mais moi, pauvre créature qui