Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moment que le sang peut revenir au cœur et être repris par les vaisseaux, quoi de plus naturel que de chercher à l’introduire dans le corps malade ? Ainsi qu’aux premiers âges de la médecine, le sang n’est-il pas toujours considéré comme le principe unique de la vie ? Et puisqu’on peut le transfuser en nature, on va donc rendre la santé, guérir toutes les maladies, peut-être même prolonger l’existence. L’esprit humain, dans un moment d’orgueil, croit avoir pénétré le secret de la vie ; il pense qu’il en sera désormais le maître. Les alchimistes les plus fameux du moyen âge ne se sont jamais livrés à d’aussi folles espérances. Le XVIe et le XVIIe siècle ont vu naître d’ailleurs tant de découvertes dans les sciences physiques et naturelles, que rien ne semble impossible. Les écoles médicales s’initient avec une ardeur fébrile à ces questions pleines d’avenir ; mais au sein de la lumière qui les pénètre, elles oublient souvent cette observation rigoureuse des faits qui a conduit à découvrir la circulation. Les médecins de ce temps s’inquiètent fort peu de savoir si la croyance ancienne sur le sang est vraie ou fausse, ils l’acceptent sans contrôle et ils la vulgarisent avec ces formes de discussion et ces principes surannés qui leur ont valu à bon droit les railleries de nos satiriques. On fait alors de la médecine et de la physiologie sous la forme d’une argumentation philosophique, la science et l’imagination se trouvent réunies, « et le raisonnement en bannit la raison. » L’histoire de la transfusion, à son origine, apparaît comme une découverte considérable, mais empirique ; la nouvelle expérience ne repose que sur des discussions scolastiques, le vrai se mêle au faux, et quand détracteurs et enthousiastes ont présenté le spectacle d’une lutte stérile, la transfusion est proscrite et condamnée à l’oubli ; de longtemps elle ne se relèvera point, car la vraie méthode scientifique n’est pas encore trouvée.

Depuis un demi-siècle, on revient à la méthode d’observation ; cette méthode n’est plus, comme au temps d’Harvey, le privilège de quelques savans, elle est devenue le guide de tous les savans de notre époque et la véritable cause du progrès scientifique. Au milieu du développement général des sciences, la transfusion a reparu agrandie et transformée ; elle ne remplira point les espérances exagérées conçues tout d’abord, mais elle élucidera dans une large mesure le problème de la santé et de la maladie. Les principes sur lesquels repose aujourd’hui cette grande expérience sont bien établis, les fonctions du sang ont été nettement déterminées. On sait que la vie réside dans chaque fragment de notre être ; la masse nerveuse, la chair de nos muscles, le tissu de nos glandes, ont besoin du concours indispensable du sang, mais vivent par eux-mêmes. Si l’anatomie générale a poursuivi l’œuvre de Bichat en étudiant les élémens de la nature morte, la physiologie a réalisé la conception de Haller