Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne s’élève et ne déborde. Comment en effet, dans des exploitations si restreintes, arriver à se faire un pécule important, et comment user ensuite fructueusement de cette première épargne pour la multiplier par des opérations heureuses et parvenir à la richesse ? Les métayers toscans, nous l’avons vu, laissent dans le compte courant du propriétaire les sommes dont ils sont créanciers et n’en retirent aucun intérêt. Qu’est-ce à dire, si ce n’est que l’esprit d’entreprise n’existe pas dans ces populations rurales ? Et, s’il n’existe pas, c’est que l’organisation du travail en vigueur ne permet pas au paysan de se livrer à des opérations dont il ait la direction exclusive, qui laissent place à un gain considérable. Aussi la classe moyenne, en Toscane et dans presque toute l’Italie, ne se recrute qu’au sein des villes et parmi les familles d’artisans. Le caractère national et l’esprit public doivent s’en ressentir. Pour donner à une nation de la consistance, de la gravité et du sérieux, il n’y a rien de tel que l’essor des populations agricoles et l’arrivée aux honneurs et à la puissance d’hommes qui en soient issus ; ces rejetons des souches rurales conservent longtemps encore les qualités patientes et solides de leurs aïeux.

Si le métayage a le défaut d’élever une barrière devant la classe agricole et de la soumettre à un niveau infranchissable, il a le mérite de donner à tous une extrême sécurité. Les générations se succèdent sur la même métairie, les préoccupations anxieuses de l’avenir sont aussi inconnues à ces populations que les ambitions viriles, elles vivent du présent sans que leur pensée aille jamais au-delà. Aussi leurs mœurs, leurs habitudes, leur physionomie portent-elles le cachet de cette insouciance qui n’a ni crainte de déchoir, ni espoir de s’élever. Le climat aussi y contribue, mais pour une moindre part.

La terra molle e lieta e dilettosa
Simili a se gli abitator produce.

Ces vers du Tasse trouvent sur les collines et dans les vallées de l’Arno leur vivante démonstration. Les populations sont laborieuses et frugales ; mais les privations matérielles n’empêchent pas les jouissances morales. Pour vivre, elles se contentent de pain de froment avec des oignons, de minestra ou soupe à l’eau et au sel avec des pâtes grossières, quelquefois assaisonnée de jus de tomate ; elles y joignent des légumes, des fruits, rarement de la viande, seulement aux jours de fête, plus rarement encore du vin, que la maladie de la vigne a rendu trop cher, du fromage de lait de brebis ou de chèvre : tel est leur régime cénobitique. Dans les montagnes et sur les plateaux, la polenta de farine de châtaignes ou de maïs