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L’OPPOSITION SOUS LES CÉSARS.

alors était pleine de ces nouvellistes dont les journaux et le télégraphe ont discrédité le métier. Ils savaient tout, ce que disaient les armées, ce que pensaient les provinces ; ils donnaient sur tout ce qui arrivait les informations les plus précises. Quand un personnage important venait de mourir, ils racontaient toutes les circonstances de sa mort ; ils disaient sans hésiter qui avait tenu le poignard ou versé le poison. Jamais les méchans bruits de toute sorte n’avaient plus circulé à Rome que depuis qu’on empêchait les gens de parler, prohibiti sermones ideoque plures. L’autorité, en cherchant à saisir ceux qui les propageaient, leur donnait encore plus de créance. C’est d’ailleurs notre nature que nous sommes volontiers incrédules pour ce qui se raconte ouvertement et que nous acceptons sans discuter ce qui se murmure à l’oreille. Ainsi toutes les mesures que prenait le pouvoir tournaient contre lui. On savait tout, on croyait tout, on voulait trouver des raisons à tout, et les plus naturelles n’étaient pas les mieux accueillies ; il fallait, pour se faire écouter, imaginer à tous les événemens des explications étranges et raffinées. Cette opposition prenait des formes très diverses, elle se pliait aux circonstances : selon les temps, elle remontait à la surface ou s’enfonçait dans l’ombre ; mais, courageuse ou timide, visible ou cachée, elle ne mourait jamais ; c’est cette souplesse et cette persistance qui faisaient sa force. Tantôt elle osait se produire au grand jour par un pamphlet : c’était par exemple un de ces testamens satiriques, comme il était d’usage d’en inventer pour les personnages considérables, et où les morts disaient librement tout ce que pensaient les vivans. Tantôt elle répandait des vers méchans qu’on se répétait à l’oreille, et qui, après avoir parcouru tous les étages de cette société mécontente, se retrouvaient un jour écrits par des mains inconnues sur les murailles du Forum. « Tibère dédaigne le vin, disait-on, depuis qu’il a soif de sang ; il boit le sang aujourd’hui, comme il buvait le vin autrefois ». Si cette audace avait trop de péril, on se rabattait sur ces allusions malicieuses qui étaient facilement saisies par ces esprits éveillés. Scaurus avait fait une tragédie d’Atrée. En apparence, c’était un divertissement innocent ; mais il se trouvait que son Atrée ressemblait beaucoup à Tibère. Maternus lisait dans les salons un drame qu’il avait composé sur Néron, ou il raillait ses manies littéraires et représentait « les muses indignées d’un si misérable adorateur ». Tout le monde, en l’écoutant, songeait à Domitien qui avait les mêmes travers. Quand ces allusions étaient elles-mêmes poursuivies et punies, on se contentait d’échanger quelques mots furtifs en se rencontrant. Devenait-il tout à fait impossible de parler, on avait un art de se taire qui laissait voir ce qu’on pensait, et l’on trouvait moyen de rendre le silence même séditieux, occulta