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pas été heureux pour son début ; il s’est exposé à donner une couleur équivoque à la politique commerciale du cabinet dont il fait partie.

Quoi qu’on fasse aujourd’hui, on ne peut scinder l’idée libérale, on ne peut pas revendiquer la liberté en politique pour la répudier dans les relations industrielles et commerciales des peuples. Le ministère du 2 janvier ne peut l’oublier dans la carrière où il s’est engagé. Il a, nous ne l’ignorons pas, des devoirs difficiles et divers ; il est obligé de faire face à une multitude d’intérêts qui réclament, et avant tout il a une œuvre politique à réaliser. C’est la politique qui l’appelle, et sous ce rapport il ne chôme pas. Il publie des circulaires, il lève les prohibitions qui pesaient sur les journaux étrangers, il prépare une loi sur la presse, il est au corps législatif soutenant avec fermeté la discussion. M. le comte Daru disait l’autre jour dans le sénat que les hommes qui faisaient partie du ministère tiendraient leurs promesses, qu’ils réaliseraient les programmes auxquels ils s’étaient ralliés. Nous ne doutons pas de la sincérité et du libéralisme du cabinet ; M. le comte Daru s’est inspiré de cet esprit dans la réponse qu’il a faite récemment aux interpellations d’un sénateur sur le concile, de même que M. Émile Ollivier s’en est inspiré dans ses décisions au sujet des questions épineuses qui se sont offertes à lui depuis son entrée aux affaires. L’intention du ministère de marcher résolument dans la voie libérale n’est point douteuse. Il ne faut pas oublier seulement que la politique tout entière ne consiste pas dans certains actes qui font du bruit, qui répondent à un intérêt ou à une impatience du moment, et on pourrait dire que l’œuvre la plus essentielle est celle qui se fait sans ostentation, celle qu’on ne voit pas.

La liberté, on en parle beaucoup, et on a raison de donner au contrôle des pouvoirs publics toute son efficacité, de laisser à la discussion toute sa latitude, de modifier l’article 75 de la constitution de l’an VIII, ou de proposer de nouvelles lois sur la presse, si on le juge utile. En réalité, si on veut faire pénétrer enfin la liberté dans les mœurs publiques, dans la pratique universelle, il s’agit bien moins de remuer des idées générales, des questions abstraites, que de dégager graduellement le pays de ce tissu de réglementations, de formalités administratives, dans lequel il est traditionnellement enveloppé. À le bien prendre, il y aurait peut-être aujourd’hui moins à faire des choses nouvelles qu’à défaire beaucoup de vieilles choses, à supprimer mille gênes inutiles, mille liens insaisissables, et des hommes ne perdraient pas leur temps, s’ils arrivaient tout bonnement à simplifier l’administration française dans ses rapports avec le pays. Les questions de presse, de réunions publiques, sont de première importance pour nous, à Paris. En province, dans les campagnes, la liberté est sans doute le droit d’exprimer sa pensée ; mais c’est aussi surtout le droit de faire ses affaires, de gérer les intérêts