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table fièvre d’esprit sur laquelle aucun raisonnement ne peut rien. Ils font de l’agitation pour de l’agitation, sans regarder où ils vont.

Le triste et déplorable résultat, le voilà : c’est cette affaire d’Auteuil, ce meurtre d’un jeune journaliste par un prince de la famille impériale. La mort d’un homme est malheureusement le fait certain. Dans quelles circonstances le meurtre a-t-il été accompli ? La justice, immédiatement et résolument saisie par le ministère, se chargera de le dire. La haute-cour a été convoquée, et quelque préférence qu’on pût avoir pour la juridiction ordinaire, il n’est pas moins vrai que cette haute cour n’est un tribunal exceptionnel que par le nom et par la forme, puisqu’elle se compose de magistrats de la cour de cassation et d’un jury tiré au sort dans les conseils généraux. Ce que nous voulons constater, c’est ce déplorable état moral où de telles défiances peuvent se produire, où une émotion, si légitime qu’elle soit, peut devenir le prétexte de nouvelles excitations, où l’on ne parle plus que de se promener en armes comme dans un bois. Or, si on n’y prend garde, il y a un sentiment qui fera de rapides progrès. On se demandera si les destinées de tout un pays peuvent rester à la merci des passions de quelques hommes ou d’un parti, lorsque ce parti peut exercer sa liberté comme tout le monde, à la condition de respecter la liberté de tout le monde. Le gouvernement a fait dans ces circonstances malheureuses tout ce qu’il devait ; il l’a fait jusqu’au bout sans hésitation, sans faiblesse comme sans forfanterie, avec la conviction qu’il servait la liberté, et M. Émile Ollivier s’est fait dans le corps législatif l’éloquent organe de cette modération libérale appuyée au besoin sur la force pour le maintien de la paix publique ; mais il y a un parti à qui ces déchaînemens créent, il nous semble, une situation critique : c’est la gauche parlementaire. Les députés de la gauche, bien entendu, ne sont pas épargnés, et le moins qu’on leur dise, c’est qu’ils ne sont bons à rien. L’autre jour M. Picard a voulu exprimer son opinion sur le nouveau cabinet, et on l’a traité selon la justice démocratique. Quoi donc ! M. Picard a osé dire que les nouveaux ministres étaient des hommes honorables ! Il a osé prétendre que si les ministres présentaient des mesures libérales, il fallait les accepter et les soutenir ! il a pu avancer que l’on devait attendre les actes pour les apprécier avec une complète intégrité ! M. Picard est évidemment un traître, digne d’avoir un portefeuille et de faire partie d’un ministère. Voilà comme on traite les députés qui ont été les premiers à former le noyau de l’opposition française depuis dix-sept ans. La gauche veut-elle être un parti politique, il faut qu’elle choisisse, il faut, qu’elle accepte les conditions d’une politique sérieuse en répudiant ces violences qui l’éclaboussent elle-même, ou qu’elle s’annule et qu’elle se réduise à l’impuissance en se laissant absorber par la démocratie furieuse des journaux et des réunions publiques. En effet, il n’y a que